Cécile Aenishaenslin (Faculté de médecine vétérinaire, UdeM), François Milord (Direction de santé publique de la Montérégie) et Michel Labrecque (Espace pour la vie) ont discuté du concept « Une seule santé » dans le cadre de la série Repenser la vie.
Une seule santé, ou One Health, vous connaissez ? C’est une approche lancée au début des années 2000 qui relie étroitement la santé des humains, des animaux et de l’environnement. Le concept n’est pas nouveau et remonte à au moins deux cents ans. Mais depuis quelques années, il se rappelle à nous. Plutôt brutalement.
Le concept d’Une seule santé a réémergé à la suite d’une succession de crises sanitaires, nous rappelle Cécile Aenishaenslin, professeure adjointe à Faculté de médecine vétérinaire.
« Il y a d’abord eu l’épidémie de grippe aviaire H5N1 en 2003, qui a soulevé des craintes sur la scène internationale. Pas longtemps après, on a vu apparaître le premier coronavirus, le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui a émergé dans des circonstances très similaires à celles de la COVID-19. C’est-à-dire à cause de l’interface humain-animal dans un marché en Asie, où plusieurs espèces d’animaux étaient gardés et commercialisés pour l’alimentation. Cette interface entre animaux et humains a favorisé la transmission d’agents pathogènes. »
Le nombre de « nouvelles maladies émergentes » a explosé au cours des cinquante dernières années. On peut penser à Ebola, Nipah, grippe aviaire H1N1, Zika, et Chikungunya. Leur apparition à intervalles réguliers a motivé l’organisation de la conférence « One World, One Health » (Un monde, une santé) en 2004 dans la ville de New York par la Wildlife Conservation Society. La conférence s’est conclue par la publication des douze « Principes de Manhattan », qui appellent à la mise en œuvre d’une approche plus globale pour prévenir, entre autres, les épidémies de zoonoses : les maladies infectieuses transmises de l’animal à l’humain et vice versa.
Chronique d’une pandémie annoncée
Dans son plus récent ouvrage, La fabrique des pandémies, Marie-Monique Robin écrit : « Depuis les années 2000, des centaines de scientifiques tirent la sonnette d’alarme : les activités humaines, en précipitant l’effondrement de la biodiversité, ont créé les conditions d’une 'épidémie de pandémies' ».
D’après l’Organisation mondiale de la santé animale, 60 % des maladies infectieuses humaines existantes sont des zoonoses. Les marchés où l’on vend de la viande d’animaux sauvages présentent un risque important d’éclosion. Mais on peut trouver de telles maladies à quelques kilomètres de chez nous seulement.
C’est arrivé près de chez vous
La maladie de Lyme est un bon exemple d’une zoonose qui a émergé plus près de nous, explique François Milord, médecin-conseil à la Direction de santé publique de la Montérégie.
« La maladie de Lyme est causée par une tique qui nous transmet une bactérie. Cette tique attrape elle-même l’infection de petits rongeurs. C’est une maladie qui n’existait pas il y a une quinzaine d’années. Mais avec les changements climatiques, les tiques ont traversé la frontière américaine, et sont maintenant dans le sud du Québec. »
Au Canada, l’augmentation des cas de la maladie de Lyme est exponentielle : de 144 cas en 2009, nous sommes passés à plus de 2500 en 2019. La maladie affecte aussi les animaux de compagnie, le chien principalement.
Les changements climatiques et la déforestation (voir encadré) sont en cause. Les étés plus longs et plus chauds, et les hivers plus doux augmentent les taux de survie, de croissance et de reproduction des tiques. Elles établissent ainsi des colonies dans de nouvelles zones et augmentent leur nombre là où elles étaient déjà établies.
Les plantes à notre secours
Pour sa part, Michel Labrecque, Conservateur et Chef de Division recherche et développement scientifique à Espace pour la vie, observe que les changements climatiques affectent aussi l’habitat naturel des espèces végétales. « On peut voir des habitats qui sont fortement perturbés par des épidémies d’insectes qui, normalement, n’auraient pas dû se retrouver là — certains qui auraient dû être tués par des hivers froids — et qui peuvent décimer des forêts de façon importante. »
Son équipe et lui s’affairent à trouver des solutions pour renverser la vapeur. Car le concept d’Une seule santé s’intéresse aussi aux bienfaits des relations environnement-humain. Pour preuve, le traitement des eaux usées… par les plantes.
« On travaille à traiter des zones d’enfouissement de déchets qui génèrent des lixiviats (eaux qui ont percolé à travers les déchets enfouis) qui coulent vers les cours d’eau et pénètrent l’environnement aquatique. »
Depuis des années, Michel Labrecque s’intéresse à la phytoremédiation, une technique qui utilise les plantes pour décontaminer biologiquement les sols pollués par l’activité humaine (métaux, pesticides, solvant, etc.) La technique sert aussi à traiter les eaux contaminées et à purifier l’air.
Le plus grand mérite de l’approche Une seule santé est sans doute de décloisonner les disciplines. Médecins, vétérinaires, agronomes et épidémiologistes — pour n’en nommer que quelques-uns — travaillent ensemble. La multiplication des crises sanitaires, dont celle de la COVID-19, signe l’échec du fonctionnement en silos. Ne nous reste qu’à espérer, tel que le dit le proverbe chinois, que l’échec est bien la mère du succès.
La rencontre complète entre Cécile Aenishaenslin, François Milord et Michel Labrecque, qui a eu lieu le 6 mai 2021, est disponible en ligne.
La série Repenser la vie est une collaboration entre Inven _T, Consortium santé numérique, H-Pod et In Fieri.
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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