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Soins dentaires à domicile. 95 ans et toutes ses dents

Dernière mise à jour : 2 mai 2022


« Dès qu’elles ont un trouble de mobilité ou un trouble cognitif, dès qu’elles souffrent de surdité ou d’anxiété, la première chose que les personnes âgées annulent, c’est leur rendez-vous chez le dentiste. Même la météo hivernale devient un obstacle. » Pour la chirurgienne-dentiste Sarah Gagné, l’évidence s’est imposée alors qu’elle travaillait en cabinet : c’est plutôt elle qui devait se déplacer pour prodiguer des soins dentaires aux personnes âgées de la ville de Québec. Rencontre avec la fond­atrice de la Clinique Dentaire Mobile.


En 2005, dernière année de ses études universitaires, Sarah Gagné choisit le cours à option en gérodontologie. Elle constate que les besoins sont grands. De nos jours, les personnes âgées sont plus nombreuses à conserver leurs dents naturelles, entre 40 et 50 % nous dit-elle. Mais pour les aînés en perte d’autonomie, maintenir une bonne hygiène buccodentaire peut devenir compliqué, et la prise d’un rendez-vous chez le dentiste encore plus. Il faut trouver une plage horaire et un accompagnateur, prévoir le transport, et gérer l’angoisse générée par la visite chez le dentiste. Jour après jour, la Dre Sarah Gagné constate combien il est difficile pour ses patients âgés de venir jusqu’à elle.

« Quand j’ai décidé de fonder ma clinique mobile, j’étais sûre de mon coup, et j’allais tout faire pour que ça fonctionne. C’était ma vocation. »


Image : dentistemobile.com

La santé dentaire en marge de la santé publique

Il faut d’abord qu’elle se fasse connaître. Auprès des médecins, des coordonnateurs des résidences pour personnes âgées et des CIUSSS*. Il faut aussi les convaincre. « La santé dentaire n'est pas considérée comme faisant partie de la santé globale des gens au Québec », déplore-t-elle. Les soins dentaires ne sont pas couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec, une situation que le gouvernement fédéral promet de corriger, du moins pour les familles à faible revenu. En attendant, l’exclusion de la couverture des soins dentaires de l’assurance maladie exacerbe les inégalités et fragilise la santé des aînés, une population vulnérable.


Pourtant, une mauvaise santé buccodentaire peut avoir de lourdes conséquences sur la santé. Elle augmente le risque de développer des infections respiratoires, comme la pneumonie par aspiration, rend le taux de sucre plus difficile à contrôler chez les personnes diabétiques, et augmente le risque de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral.


La prise de certains médicaments peut aussi avoir des effets — fort méconnus — sur la santé buccale, comme le précise la Dre Gagné.

« Passé 50 ans, un grand nombre de femmes commencent à prendre un médicament contre l’ostéoporose. Avant de le prescrire, il faut s’assurer que la patiente ait une santé dentaire exemplaire, car après un certain nombre d’années, ce médicament peut compliquer la guérison après une extraction dentaire. Quand je le dis aux médecins en CHSLD*, ils ne le savent pas… Il est pourtant très important de faire un bon nettoyage de la bouche avant de commencer ce traitement. »

Une première visite qui fait toute la différence

Trop souvent, l’état de la bouche des gens qui arrivent en CHSLD est très dégradé. Même si les préposés, déjà surchargés, avaient le temps de brosser les dents des résidents, cela aurait peu d’effet. Il y a déjà trop de tartre, la plaque est trop collante, les dents sont cassées, et les gencives saignent.


Une seule visite de la Dre Gagné permet, à tout le moins, de stabiliser la santé dentaire, souvent pour longtemps. « Maintenant, on a des produits très efficaces pour arrêter la carie. Des fois, je vois un patient dont l’état de la bouche est désastreux : il faut nettoyer, extraire des dents, ajuster les prothèses. Après, je peux le revoir pendant des années sans que rien ne bouge. »


Pour certains patients, le soulagement est instantané. Certains d’entre eux, devenus agressifs à cause d’une douleur inexprimée, se remettent à plaisanter.


Les bienfaits du dentiste à domicile

Quand on demande à la Dre Gagné si sa clinique mobile est une innovation, elle rétorque avec un grand sourire que c’est plutôt un retour en arrière, au temps où les médecins se déplaçaient chez leurs patients. Les soins à domicile sont une pratique qui mériterait d'être plus largement réintroduite, comme le réclame depuis longtemps le Dr Réjean Hébert :

« Le système de soins canadien et la Loi canadienne sur la santé ont mis les hôpitaux au cœur de la réponse sanitaire. Si ce choix était justifié au siècle dernier pour répondre aux besoins d’une population plus jeune, il est beaucoup moins pertinent aujourd’hui, dans un contexte de population vieillissante aux prises avec des maladies chroniques et des incapacités. »

Pour la Dre Gagné, les visites à domicile lui permettent de mieux accompagner ses patients. « Je vois l’environnement, l’état des brosses à dents, le bol à prothèses. J’en apprends beaucoup en visitant la salle de bain de mes patients et peux régler des problèmes que j’aurais ignorés autrement. »


La demande, pas les besoins

La clinique mobile de la Dre Gagné répond-elle à la demande ? « À la demande, oui, mais certainement pas aux besoins » insiste-t-elle. Des besoins sous-estimés ou carrément négligés par le système de santé publique qui peine à fournir une prise en charge globale des personnes âgées fragiles ou en perte d’autonomie. Il faudrait pourtant passer en deuxième vitesse, car les adultes âgés de 65 ans ou plus devraient constituer un quart de la population canadienne d’ici 2036!


* CIUSSS : Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux

* CHSLD : Centre d'hébergement et de soins de longue durée



 

Pour aller plus loin

Reportage sur la pratique de la Dre Sarah Gagné


Reportage sur une clinique mobile qui offre des soins gratuits aux usagers de l'Accueil Bonneau à Montréal

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique

catherine.hebert.6@umontreal.ca


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