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Guerre et maladie : de proches compagnes

Chaque jour, les images qui nous arrivent d’Ukraine nous clouent sur place. Des Ukrainiennes et Ukrainiens de tous âges fuient les bombardements, trouvent refuge dans des abris de fortune avec des milliers d’autres personnes, s’entassent sur le quai d’une gare ou attendent l’ouverture d’un corridor humanitaire. Sans masque et parfois sans vaccin. Le risque d’attraper la COVID est bien dérisoire face à celui de perdre la vie sous les bombardements. Les conséquences sanitaires de la guerre ne s’en trouveront pas diminuées pour autant. Depuis toujours, guerre et maladie sont de proches compagnes.

Photo : Tengyart / Unsplash

Il n’y a pas que les balles et les bombent qui menacent la santé de la population ukrainienne. Pour nombre de personnes, la cessation de leur traitement — que ce soit pour un cancer ou un rein déficient, par exemple — pourrait bien être fatale. La destruction des hôpitaux et l’interruption des chaînes d’approvisionnement sont elles aussi dévastatrices, et ce malgré la présence de médecins héroïques qui poursuivent leur mission, sous le feu des frappes russes.


Les conséquences sanitaires pour le peuple ukrainien seront redoutables, et vont perdurer longtemps après la fin de la guerre. Parmi elles, les traumatismes psychologiques et la propagation des maladies infectieuses, souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Des maladies infectieuses qui exploitent impitoyablement les conditions créées par la guerre; des conditions comme celles qui règnent à Marioupol, où les gens faute d’accès à de l’eau potable, font désormais fondre de la neige et recueillent l’eau de pluie.


La voie ouverte aux maladies infectieuses

La suspension des programmes de vaccination participe aussi à la détérioration des conditions sanitaires. Les conséquences, à court comme à long terme, peuvent être tragiques, rappelle Andrew Lee, professeur de santé publique à l’Université de Sheffield :

« La baisse de la couverture vaccinale accroît les risques d’épidémies de maladies évitables par la vaccination, comme la rougeole et la poliomyélite. Le conflit syrien, par exemple, a considérablement réduit la couverture vaccinale contre la polio, ce qui a conduit à une épidémie de cette maladie en 2017. »

Depuis des mois, l’Ukraine tentait d’enrayer une réapparition de la poliomyélite, 19 ans après que la région européenne dans son ensemble ait été déclarée exempte de polio. L’année dernière, deux cas ont été recensés dans l’ouest du pays. Le poliovirus a ensuite été identifié chez 19 enfants sains. Étant donné que ce virus ne paralyse environ qu’une personne sur 200 parmi les personnes qu’il infecte, l’épidémie est beaucoup plus importante que ne le laisse supposer le seul nombre de cas. L’Ukraine a donc décrété un état d’urgence biologique à l’échelle régionale. De concert avec l’OMS, le gouvernement a lancé un plan pour vacciner 140 000 enfants. Trois semaines à peine après son démarrage, la campagne de vaccination s’est arrêtée net.


Une double crise

« Ce à quoi nous avons affaire actuellement en Ukraine est une double crise », a déclaré au Washington Post Máire Connolly, professeur de santé mondiale à l’Université nationale d’Irlande Galway, qui a étudié le lien entre les conflits et les maladies. Elle s’inquiète de la polio en Ukraine, mais aussi de la résurgence potentielle de la tuberculose. L’Ukraine est l’un des pays où la charge de tuberculose multirésistante aux antibiotiques est la plus élevée au monde. Enfin, et bien sûr, la Dre Conolly craint une nouvelle vague de COVID-19.

« Parmi les civils, les conflits favorisent des facteurs qui conduisent à une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses, notamment les déplacements massifs de populations, le manque d’accès à l’eau potable, et les mauvaises conditions d’hygiène […]. En outre, l’effondrement des infrastructures de santé publique et le manque de services de santé entravent les programmes de contrôle tels que la vaccination […]. »

Les experts de l’OMS n’ont aucun doute : les déplacements massifs de population en Ukraine vont accroître la transmission de la COVID-19. Cela est dramatique quand on sait que les réserves d’oxygène sont extrêmement faibles, comme au moins trois grandes usines d’oxygène ont fermé en Ukraine en raison des combats. Une autre « conséquence sanitaire collatérale ».


Pour ne rien arranger, le taux de vaccination en Ukraine demeure faible, avec 34 % de la population complètement vaccinée. Jusqu’à maintenant, plus de 3,5 millions de réfugiés ont déjà fui vers les pays voisins, où les taux de vaccination sont également faibles. Celui de la Moldavie, par exemple, est d’environ 29 % selon Our World in Data de l’Université d’Oxford (et près de 60 % en Pologne).


Une solidarité sanitaire

L’accueil des réfugiés par les populations des pays voisins pourrait être salutaire pour la santé de la population ukrainienne. Des centaines de milliers de réfugiés sont hébergés par des familles polonaises ou logés dans des hôtels, plutôt que dans des camps. Ainsi, selon le Dr David Eisenman, directeur du Centre de santé publique et des catastrophes de l’UCLA, « ils devraient donc avoir un bon accès à des installations sanitaires et à de l’eau potable. » Ils vivront aussi dans un environnement moins stressant que celui des camps de réfugiés. Comme on le sait, le stress et l’anxiété ont un impact sur le système immunitaire.


L’accueil généreux réservé aux Ukrainiennes et aux Ukrainiens est une forme de solidarité humanitaire, mais aussi sanitaire, qui pourrait bien sauver des milliers de vies.

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique

catherine.hebert.6@umontreal.ca


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