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Promouvoir la santé des plus démunis, un formulaire à la fois

Dernière mise à jour : 13 sept. 2021


Image : Tirée du site du CREMIS

Le Dr David Barbeau accueille Thomas* dans son cabinet. Le jeune homme tient une brochure bleue entre ses mains. Il semble nerveux et le médecin devine pourquoi. Thomas lui demandera de signer un formulaire de l’aide sociale. Le médecin du CLSC des Faubourgs, situé au centre-ville de Montréal, comprend la fébrilité de son patient : cette signature pourrait lui permettre de sortir du cercle vicieux de la pauvreté extrême.


Thomas ne le sait pas encore, mais il se trouve devant l’un des spécialistes de la question au Québec. Depuis 2011, le Dr Barbeau donne de la formation aux médecins et aux résidents en médecine sur les formulaires médicaux de l’aide sociale. Il a aussi collaboré à une étude québécoise sur le sujet et contribué à la publication de la brochure que Thomas lui tend.

L’aide sociale et les contraintes à l’emploi

Cette brochure, développée par le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS), décrit un programme d’aide financière de dernier recours : celui de la solidarité sociale. Dans le jargon populaire, on y réfère comme le « gros chèque », et pour cause. Il permet aux bénéficiaires d’obtenir une bonification de plus de 50 % de leurs prestations mensuelles d’aide sociale.


Pour Thomas, accéder à ce programme lui permettrait de mettre fin à un cercle infernal de survie, de conserver son logis, et de manger à sa faim. Il pourrait aussi lui permettre de revoir son garçon qu’il n’a pas vu depuis des semaines, faute de pouvoir le nourrir.


Pourquoi consulter un médecin plutôt qu’un agent ou une agente du centre local d’emploi ?


Parce que l’accès à ce programme exige la signature d’un médecin. Celui-ci doit attester que son patient est dans lincapacité de travailler pour au moins les 12 prochains mois. Or, ce qui angoisse Thomas, c’est que ses contraintes à l’emploi ne vont pas de soi. Il n’a pas ce qu’un médecin pourrait qualifier de « diagnostic clairement incapacitant » ou encore un diagnostic évident tel que défini par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité́ sociale.


La pauvreté à l’origine des maux

On connaît depuis longtemps les impacts de la pauvreté sur la santé générale. Être pauvre, c’est être plus à risque de souffrir de troubles de la santé mentale et d’isolement social, en plus d’avoir un système immunitaire et des fonctions cognitives fragilisés. En plus de veiller au bien-être physique et mental de leurs patients, les médecins doivent aussi promouvoir l’équité en santé en agissant sur ses déterminants sociaux, qui influencent l’état de santé.


L’une des manières d’exercer ce rôle consiste à effectuer un repérage de la pauvreté, puis d’agir sur l’un des déterminants majeurs de la santé : le revenu. Pour le Dr Barbeau, faciliter l’accès au programme de solidarité sociale représente une avenue de solution pour les patients susceptibles d’en bénéficier.


Tirée de l’infographie du CREMIS «Le programme de solidarité sociale : Qu’est-ce que c’est ? Comment y avoir accès ?»

Le Programme de solidarité sociale comme levier thérapeutique

Dans une étude à laquelle le Dr Barbeau a contribué, les patients rapportent de nombreux effets positifs vécus ou anticipés sur leur santé et leur bien-être, associés à l’accès au Programme de solidarité sociale : diminution du stress et de l’anxiété, stabilisation de la consommation et maintien de l’intérêt pour le travail. Pour certains, le supplément de revenu obtenu grâce au programme contribue à leur mobilisation personnelle et sociale, comme en témoigne un des participants de l’étude :

Moi, ça m’a sauvé la vie, ça m’a donné la chance de pouvoir garder une stabilité dans ma vie, autant le côté financier, que le côté consommation, que le côté personnel. [...] Ça m’a donné beaucoup d’espoir aussi. [...] Ça m’a donné le goût de faire des efforts et d’essayer de me comprendre moi-même. 

Une formation sur l'évaluation des contraintes à l'emploi

Réaliser une évaluation des contraintes à l’emploi n’est pas un exercice purement objectif. Les pratiques varient en fonction des valeurs qui animent les médecins et qui influencent leur décision. Baignant au sein d’une culture où le travail est très valorisé, ils ne veulent pas nuire à leur patient en décourageant un retour au travail. En revanche, ils demeurent sensibles aux effets délétères que la pauvreté peut avoir sur leur santé.


En 2020, une équipe du CREMIS a mis à jour la formation du Dr Barbeau pour y intégrer les plus récentes données de recherche et pour la rendre disponible en ligne. On y a ajouté une évaluation de la formation visant à valider sa qualité et sa pertinence.


À travers un récit de cas, on invite les médecins à se questionner sur l’influence qu’exercent leurs propres valeurs dans la décision d’attester ou non la présence de contraintes sévères à l’emploi. On les encourage aussi à s’entourer d’autres professionnels, notamment les travailleurs sociaux et les ergothérapeutes, qui sont bien outillés pour documenter les aspects non médicaux contribuant aux contraintes à l’emploi et pour travailler sur la mobilisation sociale des patients. Enfin, la formation prône une discussion ouverte et franche entre le médecin et son patient sur leurs appréhensions et attentes respectives.


Tenir une partie du destin entre ses mains

Thomas ressort du cabinet du Dr Barbeau avec deux formulaires de l’aide sociale : le SR-2100 attestant cette fois-ci une contrainte temporaire à l’emploi et valide pour les trois prochains mois, et le SR-0040, garantissant la couverture de certains frais médicaux. Thomas se dirige vers l’accueil pour prendre rendez-vous avec la travailleuse sociale; elle pourra réaliser une évaluation approfondie des conditions sociales qui affectent sa capacité de travailler.


Le Dr Barbeau souhaite le revoir prochainement afin de réévaluer sa situation à la lumière de cette évaluation. Thomas est déçu, mais garde espoir. L’ouverture et la compassion démontrées par le Dr Barbeau l’ont amené à partager ses problèmes, malgré la honte et la culpabilité qu’il ressent. À son prochain rendez-vous, Thomas espère obtenir un formulaire SR-2100 reconnaissant, cette fois-ci, le caractère sévère et prolongé de ses contraintes au travail.


Ce formulaire est bien plus qu’un simple outil administratif : il peut constituer le levier thérapeutique dont Thomas a besoin pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté extrême.


*L’histoire de Thomas, fictive, est inspirée de cas réels rencontrés par le Dr Barbeau au cours de sa pratique.

 

Pour aller plus loin



 

Anne-Marie Ouimet

Candidate au microprogramme de troisième cycle en Analyse et évaluation des services, organisations et système de santé de l’Université de Montréal






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