Vous vous êtes peut-être déjà posé ce type de questions si vous êtes un riche investisseur… ou si vous fréquentez assidûment des plateformes de financement participatif. Mais si vous vous intéressez aux systèmes de santé, il y a de bonnes chances que vous associiez «investissement en santé» à «financement des services, salaires des professionnels et restrictions budgétaires» plutôt qu’à des capitaux placés dans la conception des innovations. Vous auriez pourtant intérêt à vous pencher sur ce qui survient en amont de la commercialisation des innovations et sur ceux qui investissent dans leur conception parce que les priorités de ceux-ci marquent la forme finale de celles-là.
L’argent comme argument
Les innovations technologiques en santé sont souvent le fait de petites entreprises, elles-mêmes fréquemment issues de centres de recherche universitaires (Industrie Canada). Les sources de financement pour ces entreprises sont limitées, alors que la rentabilité se fait attendre longtemps et que les besoins en capitaux, eux, se manifestent rapidement et de façon importante. Les ressources personnelles des concepteurs et celles de leurs proches suffisent rarement pour faire face à la croissance. Les entreprises doivent donc se tourner vers des investisseurs externes, en général pressés de voir le retour sur leur investissement.
Les objectifs financiers des investisseurs se répercutent sur les innovations produites : lesquelles seront développées ou laissées en plan? Donnera-t-on du temps aux concepteurs pour fignoler leur technologie ou fera-t-on pression pour la commercialiser rapidement? Quels compromis leur demandera-t-on de faire? Quelles indications médicales seront sélectionnées parmi les possibilités? À quels utilisateurs destineront-ils leur technologie?
Au bout du compte, il n’est pas certain que les innovations développées seront les mieux adaptées aux besoins et aux défis de santé les plus importants des systèmes de soins et des populations concernées.
La finance, un univers multiforme
«Governments want innovation because it improves national well-being. Capital markets, on the other hand, are largely agnostic toward innovation; instead, they care about after-tax, risk-adjusted returns.» (Grant, 2013 :2)
Si cette citation exprime la vision courante des choses et ne surprendra ni le profane ni l’expert en finance, il faut tout de même noter que l’univers de la finance n’est pas unidimensionnel. Outre les formes classiques d’investissement généralement plutôt indifférent aux innovations qu’il soutient, il existe d’autres manières de faire et d’autres types d’investissement.
Par exemple, l’investissement d’impact vise le « bien commun » tout en poursuivant des objectifs financiers. Il existe depuis longtemps, mais est en rapide expansion, au Canada comme ailleurs, et comporte des instruments pouvant s’appliquer à des entreprises à but lucratif ou non lucratif et à diverses étapes du développement des entreprises allant du capital d’amorçage (seed-money) au prêt à une entreprise établie (Harji et al. 2014; Gibson et al. 2015).
De son côté, le financement participatif – mieux connu sous son nom anglais crowdfunding – n’est pas entièrement nouveau lui non plus, mais avec la multiplication des plateformes en ligne, la possibilité de soutenir des projets potentiellement délaissés par les investisseurs traditionnels croît de façon exponentielle. Il peut également «signaler» aux investisseurs potentiels traditionnels que tel projet reçoit un appui important du public et mérite donc, peut-être, qu’on s’y intéresse (Lehner et Nicholls 2014).
Autre exemple : les «anges investisseurs» ou investisseurs providentiels. Ils partagent parfois des traits des investisseurs de capital de risque, mais ils s’en distinguent souvent également, entre autres parce que les capitaux investis leur appartiennent personnellement. Eux aussi connaissent des changements importants depuis quelques années, notamment du fait de leur tendance à se regrouper et à accroître leur capacité d’investissement.
Est-ce que ces formes de financement permettent de produire de meilleures innovations en santé, c’est-à-dire des innovations plus pertinentes, mieux conçues, plus performantes? C’est une question qu’il reste à explorer.
Les contributions des collaboratrices et collaborateurs à ce dossier d’Hinnovic, sans prétendre à l’exhaustivité, vous offrent un aperçu de la diversité des types de financement des innovations.
Erica Barbosa Vargas, directrice de la finance sociale à La fondation de la famille J.W. McConnell expose, en entrevue, les tenants et aboutissants de l’investissement d’impact.
Rodrigo Davies, directeur du produit à Neighborly civic crowdfunding à San Francisco, s’entretient avec notre journaliste, Jérémy Bouchez, de financement participatif.
Geneviève Daudelin, membre de l’équipe d’Hinnovic, présente le b-a-ba du capital de risque.
Cécile Carpentier et Jean-Marc Suret, professeurs à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, dressent un portrait général des anges investisseurs et rapportent les résultats d’une recherche sur le processus de décision d’investissement dans un réseau d’anges au Canada.
Auteure :Geneviève Daudelin, Ph.D. Hinnovic.org
RÉFÉRENCES
Gibson K., Chung H.-D., Nixon T., Sinopoli T. (2015). Issue Brief on Seed-Stage Impact Investing in Canada : Insights from the field. MaRS Centre for Impact Investing, May, 15 pages.
Grant M. (2013). Financing Innovation by Established Businesses in Canada. Conference Board of Canada, Report January 2013, 52 pages.
Harji K., Reynolds J., Best H., Jeyaloganathan M. (2014). Impact Investing in Canada : State of the Nation. MaRS Centre for Impact Investing & Purpose Capital, 100 pages.
Lehner O., Nicholls A. (2014). Social finance and crowdfunding for social enterprises : a public-private case study providing legitimacy and leverage. Venture Capital, 16(3), pp. 271-286.
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