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Afriques : comment ça va avec la vaccination?

Dans un film documentaire sorti en 1996, le cinéaste-photographe Raymond Depardon traverse toute l'Afrique, depuis le cap de Bonne Espérance, en Afrique du Sud, jusqu'à Alexandrie, en Égypte. « Comment ça va avec la douleur ? » lui demandent souvent des Africains qu’il rencontre, simple salutation qui prend en compte un quotidien éprouvant. Aujourd’hui, face au maigre taux de personnes complètement vaccinées en Afrique, soit 5 %, nous avons eu envie d’emprunter le titre de Depardon afin de mieux comprendre pourquoi le continent est laissé pour compte dans cette campagne de vaccination dite mondiale.


Photo : King Rodriguez / Wikimedia

Le très faible taux de vaccination sur le continent africain, dénoncé par le Groupe indépendant sur la préparation et la riposte à la pandémie, reflète les obstacles redoutables auxquels se heurtent les pays africains; obstacles au mieux méconnus, au pire ignorés.


Kouadio Daniel Ekra, directeur du programme de vaccination en Côte d’Ivoire, participait récemment à une conférence organisée par l’Unité de santé internationale. Il s’est chargé de nous rappeler que l’accessibilité au vaccin en Afrique est d’ordre économique, mais aussi politique. Il était accompagné de deux collègues, Mira Johri et Ammar Abdo Ahmed, ainsi que de Sophie Malavoy à l'animation. Leur mise au point à propos de la vaccination mondiale contre la Covid-19 mérite qu’on s’y attarde.


Un portrait d’ensemble

Règle générale, les pays de l’Afrique du Nord s’en sortent mieux que ceux de l’Afrique subsaharienne (mieux, mais pas nécessairement bien). La Côte d’Ivoire fait partie des pays les mieux vaccinés, avec seulement 2,1 % de la population complètement vaccinée (9 % de la population âgée de 18 ans a reçu une première dose). Pour comparaison, 0,1 % de la population de la République démocratique du Congo a reçu une première dose.


Dépendance et surenchère

Les pays africains, comme l’explique le Dr Ekra, sont dépendants de calendriers de livraison qu’ils ne maîtrisent pas. Des pays comme la Côte d’Ivoire ont subi la contrainte liée aux limites du dispositif d’approvisionnement équitable COVAX. Pour rappel, le programme COVAX avait comme objectif «  d'accélérer le développement et la fabrication des vaccins COVID-19, et de garantir un accès juste et équitable pour tous les pays du monde. »

Cette vision ne s’est pas concrétisée, comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies, António Guterres en juin 2021 : « COVAX a livré plus de 72 millions de doses à 125 pays. Mais c’est bien moins que les 172 millions qu’il aurait dû livrer à ce jour ». De nombreux pays riches n’ont pas tenu leur promesse de donner des doses ou, pire, ont utilisé le mécanisme COVAX pour acquérir des doses. Les pays les plus pauvres dépendent alors de la politique des pays riches, qui n’accorderont un montant significatif qu’après avoir vacciné tous leurs citoyens.


Jusqu’à maintenant, la Côte d'Ivoire a réussi à se procurer un total de 4,3 millions de doses pour une population de 26 millions d’habitants. Les vaccins fournis par COVAX ne représentent que 8 % des besoins, et non les 20 % promis. L’État a réussi à acheter 130 000 doses. À quel prix ?


« Il y a de la surenchère même pour les pays moins bien nantis, explique le Dr Ekra. On sait que les doses acquises grâce à COVAX valent 10,55 $ la dose. Mais lorsque les pays vont sur le marché par eux-mêmes et cherchent à acheter des doses par l’intermédiaire des fournisseurs de vaccin, c’est au moins 15 $ la dose. On a même eu des propositions à 20 $ ou 25 $ la dose. »

Source : The Conversation

Un problème d’approvisionnement ou de distribution ?

Le Dr Ammar Abdo Ahmed dirige le secteur de la Santé mondiale à la Banque islamique de développement (une banque de développement multilatérale regroupant 57 États membres). Il explique que, selon le mécanisme COVAX, chaque pays doit développer son propre plan de distribution des vaccins. Ainsi, le faible taux de vaccination serait dû, en partie, au fait que les pays ont sous-estimé les ressources qui devaient être utilisées pour la distribution des vaccins. Selon lui, tout le monde s’est concentré sur l’acquisition des vaccins, parfois au détriment de la planification du stockage et de la distribution.


Réplique du Dr Ekra : « Je peux dire que très peu de pays ont eu la maîtrise de leur approvisionnement. Même si vous avez une planification de vaccination mensuelle, vous attendez. Vous êtes complètement dépendant de la décision d’une instance extérieure. Les pays africains n’ont aucun contrôle de leur approvisionnement. La vaccination en Côte D’Ivoire a commencé au mois de mars, soit trois mois après ceux qu’on appelle les pays riches.»


Dans ces conditions, comment organiser la distribution des vaccins ?


Le Dr Ekra insiste sur le fait que la plupart des dons des pays riches sont constitués de lots de vaccins proches de leur date de péremption (6 à 8 semaines à partir de l’annonce). Une fois les formalités administratives complétées, « on est encore plus proche de la date de péremption. Il faut donc accélérer la vaccination sur le terrain pour écouler ces vaccins » explique-t-il.


Combien de vaccins ont été gaspillés en raison d’un don tardif ? Difficile à savoir. Mira Johri, professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, précise : « En ce qui concerne les données officielles de COVAX, nous n’avons pas de données sur les pertes de cette nature. Les systèmes de données ne sont pas construits pour ça. Donc, on a des informations anecdotiques plutôt que des données officielles. » En revanche, les pays riches, bien qu’ils produisent ces données, ne mettent pas à la disposition du grand public les informations sur le nombre de doses gaspillées.


La question de la perte de vaccins COVAX est intéressante, car elle permet de jeter un regard critique sur la structure du mécanisme de distribution de ce programme. La question de la quantité de doses gaspillées doit toutefois être élargie, et les pays riches doivent être inclus dans l’équation. À suivre de près, donc, dans un prochain billet.

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique


avec la collaboration de

Robson Rocha de Oliveira

Conseiller de recherche - In Fieri

Médecin spécialiste en médecine sociale et préventive


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