Décors
La R&D vise l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, qui plus est dans le domaine biomédical. Les scientifiques veulent faire une différence dans la vie des gens. Et pour que ce métier reste noble, nous l’avons envisagé en termes de responsabilisation des acteurs par rapport aux retombées que leurs découvertes auront sur l’ensemble de la société. Ce concept de responsabilité nous apparaît pertinent, car il offre une vision plus pragmatique que philosophique des décisions prises tout au long du processus de recherche, de transmission et d’utilisation des innovations.
Depuis douze ans, nous essayons de mieux cerner la part de responsabilité des chercheurs dans les débats publics. Ils se situent généralement entre deux pôles. Quelques-uns estiment qu’ils n’ont rien à considérer hormis leur recherche, laissant l’autorité publique déterminer si l’utilisation de leurs découvertes est acceptable. D’autres participent aux forums, aux émissions scientifiques ou aux démarches réflexives multidisciplinaires pour raffiner la qualité de leur prise de décision.
Il apparaît également que les chercheurs ne sont pas toujours «maîtres de leur destin» et que la transmission des informations est altérée par les réalités, somme toute humaines, de la R&D biomédicale: la recherche quantitative réduit souvent la compréhension des phénomènes complexes; les études longitudinales sont rares et coûteuses; le financement des laboratoires biomédicaux est de plus en plus
Ces différentes réalités affectent la qualité de la recherche et, conséquemment, la responsabilité sociale des chercheurs: ils sont pris dans la dynamique malsaine de «publish or perish»; certains tournent les coins ronds pour assurer la survie du laboratoire ou de l’institution; d’autres développent des attitudes questionnables envers leurs pairs; les données sont parfois présentées en leur faisant dire ce qu’elles ne révélaient pas nécessairement; quelques-uns se voient sermonnés par l’entreprise qui les finance s’ils questionnent l’efficacité d’une molécule, etc. Récemment, un chercheur a démontré qu’un grand nombre d’articles signés par des médecins avaient été, en fait, rédigés par des compagnies pharmaceutiques sur la base de données soutenant l’efficacité de leurs produits et non sur des recherches menées selon les règles de l’art scientifique.
Responsabilité
Nous nous sommes intéressés aux perceptions qui influencent les prises de décision des acteurs de la R&D biotechnologique en adaptant le modèle d’analyse des comportements professionnels proposé par Boisvert et ses collaborateurs (2003). Ce modèle propose deux axes pour 1) comprendre les forces et faiblesses des différentes dynamiques décisionnelles et 2) déterminer des moyens favorisant la responsabilité sociale dans l’administration publique. Les auteurs suggèrent que plus une personne accepte de discuter avec les différentes parties prenantes, moins il sera nécessaire de définir des normes précises pour encadrer son travail. A contrario, plus une personne se réfère à l’autorité pour définir l’acceptabilité de ses comportements et plus il faudra prescrire des normes juridiques et déontologiques pour assurer le bien commun.
Nous avons récemment proposé un troisième axe qui tient compte des enjeux psychologiques. En effet, si une personne souffre de difficultés psychiques (e.g. stress de performance), la qualité de la démarche éthique et de la responsabilité sociale chute. Il y a donc un risque pour notre société à ne pas tenir compte des motivations et des difficultés vécues par l’ensemble des acteurs qui participent au processus de découverte, de transfert de connaissance, de production et d’utilisation des biotechnologies. À l’inverse, une personne qui a développé l’intégrité de son soi, sa force de résilience et une saine estime de soi semble s’inscrire plus facilement dans une démarche réflexive, ce qui favorise les comportements éthiques et responsables. Le bien commun serait alors préservé.
Nous sommes donc dans une impasse… Les dynamiques de régulations éthiques et déontologiques jouent-elles vraiment leur rôle si l’on ne tient pas compte des enjeux subjectifs qui motivent chaque individu? Nous sommes donc renvoyés à nous-mêmes pour développer des manières d’agir qui nous permettent d’assumer notre part de responsabilité professionnelle et personnelle, lorsque nos décisions sont susceptibles d’affecter le bien commun. Il n’existe aucune autre piste que d’entrer, individuellement et collectivement, dans une démarche réflexive pour prendre en considération les impacts de nos décisions et développer une sagesse bien souvent contrainte par des dynamiques de performance et de rentabilité à court terme.
Auteur :Joël Monzée, Ph.D. Directeur, Institut du développement de l’enfant et de la famille Professeur, Département de pédiatrie de l’Université de Sherbrooke Chercheur, Laboratoire Santé, éducation et situation de handicap de l’université de Montpellier
RÉFÉRENCES
Boisvert, Y., Jutras, M., Legault, G.A. et Marchildon, A. (2003). Petit manuel d’éthique appliquée à la gestion publique, Montréal, Éditions Liber.
Monzée, J. et Bélanger C.H. (2001), Recherche en santé: enjeux et perspectives, Montréal: Éds AEGSFM.
Monzée, J. (2006). « Quelle responsabilité sociale chez les chercheurs ? » In : Létourneau L. (dir.), Bio-ingénierie et responsabilité sociale. Collection « Droit, biotechnologie et société », Montréal, Éditions Thémis: 175-203.
Monzée, J., (2008). Pharmacologie, éthique et société: de la « responsabilité » à la « responsabilisation » des chercheurs et des entreprises privées dans le contexte du dopage sportif. Note de recherche. Montréal, ENAP/INRS.
OMonzée, J. (2010). Médicaments et performance humaine : thérapie ou dopage? » Montréal, Éditions Liber.
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