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Grey-Box : UNI contre la fracture numérique

Dernière mise à jour : 26 août 2021

Photo : Valentin Kravtchenko

Vous agitez votre souris, mais le curseur ne répond pas. Les ressources de l'ordinateur sont monopolisées pour lancer Internet Explorer depuis maintenant… trois minutes. Votre regard s'évade et tombe sur la date. Non, nous ne sommes pas en 2002, condamnés à utiliser une connexion internet téléphonique sur un Pentium-III. Nous sommes en 2013, au Togo, un des nombreux pays avec des enjeux majeurs de connectivité.


Pour le fondateur de Grey-Box, Valentin Kravtchenko, cette scène est un fait vécu qui ne représentait qu'un souci temporaire; il reviendrait bientôt au Canada. Cependant, les nombreux étudiants qui l’entouraient continueraient, eux, à égrener de – trop – nombreuses heures devant l’ordinateur pour effectuer leurs travaux scolaires.


Les embûches du terrain

Dans le parcours humanitaire qui a fait voyager Valentin Kravtchenko de l'Afrique de l'Ouest aux communautés autochtones du Canada en passant par l'Amérique latine, ce genre de situation était courante. Ses équipes et lui étaient dépendants d'Internet pour faire la recherche de contenu éducatif et le transférer aux communautés qu'ils visitaient. Trouver et ouvrir un article Wikipédia pouvait prendre jusqu'à cinq minutes, même avec une clé 4G. Bien que ce standard de connectivité soit bon, la bande passante disponible n'était pas suffisante pour naviguer confortablement sur Internet. C'est comme si, pour prendre une douche, les tuyaux avaient un diamètre adéquat, mais que le débit d'eau était insuffisant.


Ces problèmes de connectivité ont fait surgir les questions à la source de la fondation de Grey-Box : quel serait l'appareil idéal pour avoir à portée de main toutes les ressources numériques dont les organisations non gouvernementales (ONG) ont besoin sur le terrain? Comment y parvenir quand l’électricité et la connexion internet sont déficientes? Comment concevoir un appareil portatif, résistant aux intempéries, écoénergétique, abordable, et facile d'utilisation?


Les premiers pas

Grey-Box se base sur la prémisse qu'il existe déjà assez de contenu éducatif disponible. Son but est d'en faciliter la diffusion. La première idée de Valentin Kravtchenko est de créer des laboratoires informatiques qui tiennent dans une boîte, qui serait expédiée sur le terrain. L'ONG partenaire qui la reçoit n’aurait alors qu’à fournir écrans, claviers et souris pour que les utilisateurs puissent profiter de son contenu pédagogique. Ainsi, UNI ferait d'une pierre deux coups : le laboratoire informatique contiendrait non seulement le matériel didactique dont les coopérants ont besoin, mais aussi tous les outils, tutoriels et données utiles au groupe en formation. Une fois la mission terminée, le laboratoire resterait sur place, à disposition de la communauté.


Le premier candidat, la PlayStation 2, contient un navigateur sur lequel on peut préenregistrer du contenu. Cependant, elle est difficile à trouver vu la fin de sa production en 2013. Le Raspberry Pi est alors considéré. Abordable, petit comme une carte de crédit et alimenté par une batterie externe, il suffit de le brancher aux périphériques appropriés pour qu’il se transforme en ordinateur. Or, chaque unité doit être assemblée à la main, une opération coûteuse en temps et en main-d'œuvre.


Le 3e candidat est l’Android TV Box : une boîte multimédia offrant une interface intelligente via un téléviseur, avec des applications préinstallées. Ces boîtes sont disponibles en tant que produit COTS, c'est-à-dire un produit prêt à l'emploi. Le boîtier protégeant ses composantes, son bas coût unitaire, sa faible consommation d'énergie et sa petite taille sont les caractéristiques qui font de l'Android TV Box l'appareil idéal pour devenir le produit phare de Grey-Box : UNI.


Une particularié spécifique à l'Android TV Box change même la nature du projet initial : la boîte peut devenir un point d'accès sans fil (WiFi Hotspot). Bien que la boîte ne donne pas accès à internet, elle permet d’accéder à un réseau sans fil local grâce auquel le contenu de la boîte devient accessible.


Cela se fait via un portail captif (image ci-contre), soit la fenêtre qui apparaît quand on se connecte à certains réseaux internet public, et sur laquelle on s’identifie. Il suffit donc d'envoyer sur le terrain une UNI chargée avec du contenu, et les utilisateurs s'y connectent avec l'appareil de leur choix.

Réduire la fracture numérique

UNI agit sur deux volets du phénomène de fracture numérique (FN), soit le fossé qui se creuse entre les individus ayant des accès inégaux à la technologie et la connectivité.


UNI s’attaque d’abord à l’aspect physique de la FN grâce au principe d'informatique en périphérie (edge computing), qui permet à un appareil d'exécuter des tâches à proximité de la source des données qu'il utilise. Il s'oppose à l'infonuagique (cloud computing), qui nécessite une connexion internet pour accéder à des données stockées à distance.


Fonctionner hors connexion permet à UNI de diffuser son contenu, sans latence, dans un rayon de 100 mètres. Ainsi, même dans une zone sans internet, un utilisateur connecté à UNI pourrait, par exemple, accéder à l'entièreté des articles en anglais de Wikipédia (six millions!), ou encore suivre des cours de mathématiques sur une copie virtuelle du site Khan Academy.


UNI réduit aussi la FN en incluant ceux qui possèdent peu de compétences numériques. Pour la mettre en marche, il suffit de brancher la boîte à une source de courant. Pour s'en servir, l'utilisateur emploie l'appareil de son choix pour accéder au contenu. Comme l'usage du cellulaire a dépassé celui de l'ordinateur dans bien des pays à revenu faible et intermédiaire, UNI a d'abord été pensée pour les utilisateurs de téléphones intelligents.


Une solution innovante

Grey-Box a démarré la précommercialisation d’UNI. En ce moment, l'appareil est testé par des organisations sur le terrain.


UNI offre-t-elle une solution miracle? Non. Mais valable, oui.


Bien que l'accès à internet ne soit pas un droit humain fondamental, l'ONU le définit comme un besoin clé par lequel l'humain peut faire faire valoir d’autres droits. Malgré cela, de nombreux pays à faible et moyen revenu sont laissés pour compte. Bien sûr, UNI est une solution temporaire, qui ne rend disponible qu’une portion d'Internet. Elle a toutefois le mérite de donner accès à des ressources pertinentes, et comble un vide auprès des communautés dont l’accès à Internet est limité ou inexistant.


En ce sens, l’avantage d’UNI est aussi sa plus grande faiblesse : puisque la boîte n’est pas connectée à Internet, la mise à jour de son contenu dépend de Grey-Box. Cela contribue à renforcer la dépendance de certaines communautés envers les ONG. Aussi, UNI ne peut pas remplacer la fonction sociale d’Internet. Valentin Kravtchenko est d'ailleurs formel : la présence d'UNI ne devrait jamais inciter les décideurs politiques à retarder l’implantation d’Internet dans une région. UNI n’est peut-être qu’un pansement sur la fracture numérique — et un pansement n’a jamais guéri de fracture — mais elle constitue une réponse proactive à un problème souvent ignoré.

 

Pour aller plus loin


Disponible en français, en anglais et en espagnol


 

Gabrielle Verreault

Candidate à la maîtrise en bioéthique, Université de Montréal











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