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Faut-il polluer pour être en santé?

Dernière mise à jour : 5 févr. 2021

Les défis des innovateurs

 

La scène est révélatrice de notre époque. À la sortie d’une bouche de métro, une personne retire son masque jetable et le pose en équilibre sur une poubelle qui déborde. Un petit coup de vent en aura vite raison. Le masque dégringole. Longtemps objets de toutes les convoitises, les masques jetables jonchent désormais les rues des villes.

À la lutte contre la prolifération de la COVID-19, s’ajoute maintenant celle de la « nouvelle pollution » des masques sur la voie publique. Cet exemple, somme toute banal, est pourtant révélateur. Depuis quelques années, la tension générée par la nécessité de contrôler la propagation des maladies infectieuses et celle de trouver des solutions écologiques ne fait qu’augmenter. Des études récentes [1-8] menées un peu partout dans le monde ont révélé les effets dévastateurs des soins de santé sur l'environnement. Pourquoi équipement médical et environnement ne font-ils pas plus souvent bon ménage?

Le secteur des soins de santé en retard

Malgré les efforts déployés pour réduire son empreinte écologique, le secteur des soins de santé est à la traîne par rapport à d’autres industries. Ce secteur produit une quantité massive de déchets au quotidien. De plus, les nouvelles technologies employées en santé sont très gourmandes en énergie et en matière première. Par exemple, les services de santé au Canada émettent 4,6 % des gaz à effet de serre du pays. [9]

Ceux qui conçoivent ces technologies en santé prennent-ils en compte les considérations environnementales? La réponse n’est pas simple.

Les développeurs d’innovation face à un double défi

Une étude récente menée auprès d’ingénieurs, de designers industriels, d’entrepreneurs et de cliniciens du Québec et de l’Ontario – les innovateurs – nous apprend qu’ils reconnaissent tous l'importance d'atténuer l’impact environnemental des nouvelles technologies en santé. Toutefois, beaucoup font valoir que la qualité des soins individuels prodigués aux patients prend le pas sur les considérations environnementales. Améliorer la qualité de vie des patients et sauver des vies demeure la priorité absolue. « Lorsqu'il s'agit de sauver des vies, permettre aux gens de voir à nouveau, de réduire la mortalité infantile [...], la vie humaine prime sur l'impact environnemental », exprime un participant de l’étude.

La paille de plastique, désormais honnie, illustre bien les dilemmes auxquels sont confrontés les innovateurs en santé.

« Ils interdisent les pailles en plastique [en Grande-Bretagne] [...] et je peux comprendre pourquoi. Mais je n'ai pas encore vu de paille en papier qui fonctionne en mode plié pour les quadriplégiques afin de leur permettre de boire de façon autonome. »

Un autre exemple : le sèche-mains électrique. Bien que plus écologique que les serviettes en papier, il est moins efficace pour réduire la propagation des bactéries. Par conséquent, « l'avantage écologique est anéanti par le souci de santé publique », précise un participant. Ce même raisonnement s’applique à une grande quantité de déchets jetables à usage unique générés quotidiennement par les hôpitaux. À l’argument sanitaire s’ajoute l’argument économique.

Dans les hôpitaux, l’utilisation d’« innovations vertes » pose un défi. Le système hospitalier repose sur un modèle commercial lucratif qui dépend de produits jetables à usage unique, et constitue une entrave aux solutions plus écologiques. Il arrive que les innovateurs utilisent des produits réutilisables plutôt que jetables, non pas pour des raisons écologiques, mais pour atteindre une qualité maximale. Ces produits sont le plus souvent rejetés par le système hospitalier qui se dit incapable de les entretenir. Par conséquent, l’idée d’innovation responsable a parfois du mal à s’y frayer un chemin.

Réconcilier innovation et environnement : c’est possible!

Un double fardeau incombe donc aux innovateurs lorsqu’ils cherchent à développer des technologies pour mieux soigner les patients tout en réduisant leur impact environnemental. Des politiques publiques qui orienteraient le secteur des soins de santé vers un mode de fonctionnement plus durable pourraient bien l’alléger.

Exceller en tant que concepteur, tout en étant écoresponsable, ne relève pas de l’utopie : des pistes de solution se profilent. Le biomimétisme, par exemple, qui mime des techniques mises en œuvre par la nature, inspire des innovateurs. Ils peuvent ainsi proposer des alternatives de développement qui soient bénéfiques à la fois pour l’humain et l’environnement.

De même, l’innovation frugale, qui cherche à faire mieux avec moins, est une stratégie à valoriser même dans les pays développés. Comme en témoignent les dizaines de nouveaux produits inspirés de la nature, conjuguer santé et l’environnement, c’est gagnant!


 

PAROLE DE CHERCHEUSE

Lysanne Rivard, PhD



 

Ce billet est inspiré de l’article suivant :

Rivard L, Lehoux P, Miller FA. Double burden or single duty to care? Health innovators’ perspectives on environmental considerations in health innovation design

BMJ Innovations 2020;6:4-9.


Pour obtenir l’article complet, contacter Lysanne Rivard : lysanne.rivard@umontreal.ca

 

Références

1. Thiel CL, Eckelman M, Guido R, et al. Environmental impacts of surgical procedures: life cycle assessment of hysterectomy in the United States. Environ Sci Technol 2015;49:1779–86.

2. Thiel CL, Woods NC, Bilec MM. Strategies to reduce greenhouse gas emissions from laparoscopic surgery. Am J Public Health 2018;108:S158–64.

3. Dunbar-Reid K, Buikstra E. The environmental impact of healthcare and haemodialysis: the Jekyll and Hyde dilemma. Renal Society of Australasia 2017;13:33–44.

4. Campion N, Thiel CL, Woods NC, et al. Sustainable healthcare and environmental life-cycle impacts of disposable supplies: a focus on disposable custom packs. J Clean Prod 2015;94:46– 55.

5. MacNeill AJ, Lillywhite R, Brown CJ. The impact of surgery on global climate: a carbon footprinting study of operating theatres in three health systems. Lancet Planet Health 2017;1:e381–8.

6. Esmaeili A, McGuire C, Overcash M, et al. Environmental impact reduction as a new dimension for quality measurement of healthcare services: the case of magnetic resonance imaging. Int J Health Care Qual Assur 2018;31:910–22.

7. Malik A, Lenzen M, McAlister S, et al. The carbon footprint of Australian health care. Lancet Planet Health 2018;2:e27–35.

8. Eckelman MJ, Sherman JD. Estimated global disease burden from US health care sector greenhouse gas emissions. Am J Public Health 2018;108:S120–S122.

9. Eckelman MJ, Sherman JD, MacNeill AJ. Life cycle environmental emissions and health damages from the Canadian healthcare system: an economic-environmental- epidemiological analysis. PLoS Med 2018;15:e1002623.

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique

catherine.hebert.6@umontreal.ca

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