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Elle est sociale, durable ou responsable votre innovation? 1/3


Source: Artwork from University of Toronto Wenceslaus Hollar Digital Collection


Selon la définition consacrée du Manuel d’Oslo, publié par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’innovation réfère à des produits, des services, des systèmes ou des processus de production et de distribution des biens qui sont considérés comme nouveaux dans un contexte historique ou géographique particulier. Mais qu’en est-il lorsque l’on ajoute à l’innovation des qualificatifs tels que sociale, durable ou responsable ? Dans ce premier billet d’une série de trois, nous vous proposons quelques repères pour y voir plus clair.

Dis-moi ta mission, je te dirai qui tu es

Pour Mulgan, l’innovation sociale renvoie « aux activités et aux services innovants qui sont motivés par l’objectif de répondre à un besoin social et diffusés principalement par des organisations dont les finalités premières sont sociales » (trad. lib., 2006). Puisqu’elles émergent souvent selon une logique ascendante (« bottom up »), Andrew et Klein (2010) précisent que les innovations sociales ont la particularité d’être enchâssées dans des communautés territorialisées.

Par exemple, l’entreprise à but non lucratif Aki Energy intervient au sein des collectivités des Premières Nations du Manitoba dans le but d’élaborer des solutions durables en matière d’énergie et d’alimentation. Elle a pour mission de soutenir la transition des ménages vivant dans les réserves vers l’énergie géothermique et solaire, afin de favoriser leur autosuffisance énergétique tout en offrant aux jeunes des occasions locales de formation et d’emploi (Groupe de travail, 2018). Selon un partenariat conclut avec Manitoba Hydro misant sur une formule de paiements fondés sur les économies engendrées, cette entreprise investit ses revenus dans des exploitations agricoles biologiques locales qui visent à accroitre la sécurité alimentaire des communautés éloignées. Cet exemple illustre bien le fait que l’innovation sociale peut jouer un rôle important en matière de santé, de bienêtre et de cohésion sociale et dans le développement socioéconomique des collectivités (Andrew et Klein, 2010).


La vidéo présente la ferme Meechim, une collaboration entre Aki Energy et la Première nation Garden Hill qui vise à cultiver et à produire des aliments sains et locaux pour la communauté. En cherchant des solutions à la pauvreté et au diabète, le projet crée des emplois à long terme et contribue au développement économique. Source : Aki Energy

L’innovation « verte » est-elle automatiquement sociale ?

La lutte aux changements climatiques nécessite des solutions que les gouvernements et le marché peinent à développer. Est-ce que l’innovation durable (ou « verte »), qui cible cette grande problématique, est ainsi de facto synonyme d’innovation sociale ? On pourrait être tenté de répondre par l’affirmative à la lumière de l’exemple précédent, mais la littérature sur l’innovation durable indique que cette dernière renvoie à l’impératif de la « triple performance », soit la nécessité pour une entreprise de réconcilier les dimensions sociale, économique et environnementale de son activité commerciale. À cette fin, l’innovation durable peut prendre différentes formes incluant des produits, des processus, des services et des modèles d’affaires (Lubberink et al., 2017) et peut cibler des occasions d’affaires spécifiques comme le développement d’une batterie plus pérenne pour les voitures électriques.

De ce point de vue, l’innovation durable ne poursuit pas automatiquement une mission sociale. Cela étant dit, l’innovation durable nécessite fréquemment le développement de solutions systémiques à long terme comme celles sous-jacentes à la transition vers des systèmes alimentaires durables ou des énergies renouvelables. Cet aspect systémique peut rendre l’innovation durable largement compatible avec l’innovation sociale qui vise à engendrer des changements sociaux pérennes.

« Bien qu’elles puissent maintenant paraitre banales, des idées comme l’assurance maladie et le recyclage étaient au départ des innovations sociales qui ont transformé les systèmes d’antan. Des innovations plus récentes comme la microfinance, le commerce équitable et les sites d’injection supervisés sont en train de refaçonner les systèmes de nos jours » (Groupe de travail, 2018).

Et l’innovation responsable dans tout ça ?

Pour Lubberink et collègues (2017), l’innovation sociale chevauche conceptuellement l’innovation responsable, car cette dernière est motivée par le désir de relever de grands défis sociétaux tels les Objectifs de Développement durable des Nations Unies. Cependant, la définition de Silva et collègues (2018) attire l’attention sur des caractéristiques qui échappent aux définitions courantes de l’innovation sociale et qui englobent l’innovation durable. Selon cette définition, l’innovation responsable repose sur une démarche collaborative entre des acteurs publics et privés qui s’engagent mutuellement à clarifier et à rencontrer un « ensemble de principes, valeurs et exigences éthiques, économiques, sociaux et environnementaux lors de la conception, du financement, de la production, de la distribution, de l’utilisation et de la mise au rancart de solutions sociotechniques ». Cette définition couvre donc l’ensemble du cycle de vie des innovations et souligne l’importance d’aligner de façon pérenne le développement technologique avec la résolution des grands défis sociétaux.

À retenir

Le Tableau ci-dessous précise que l’innovation sociale, durable et responsable émergent de préoccupations distinctes, reposent sur des processus qui leur sont propres et visent ultimement des impacts différents. Tel que les travaux menés dans le cadre du programme de recherche In Fieri le soulignent, l’innovation responsable attire l’attention non seulement sur les processus et les produits de l’innovation, mais également sur ses aspects organisationnels, c’est-à-dire sur les dynamiques entrepreneuriales qui portent les innovations vers les marchés et auprès des utilisateurs (Silva et coll., 2018). L’innovation responsable porte enfin un regard attentif vers le futur en cherchant à anticiper les impacts négatifs pouvant découler de l’innovation.


Dans la 2e partie de ce billet, nous explorons deux autres notions qui s’accompagnent du qualificatif « social » et sans lesquelles l’innovation sociale, durable ou responsable ne pourraient que difficilement exister : les entreprises sociales et la finance sociale.


Pascale Lehoux Professeure titulaire, Université de Montréal

Directrice de l’équipe de recherche In Fieri


RÉFÉRENCES

  1. Andrew, C., Klein, J.L. (2010). Social Innovation: What is it and why is it important to understand it better. Montréal : CRISES. No ET1003.

  2. Groupe de travail sur la cocréation d’une stratégie d’innovation sociale et de finance sociale. Gouvernement du Canada (2018). Pour l’innovation inclusive : Nouvelles idées et nouveaux partenariats pour des collectivités plus fortes. Recommandations du Groupe de travail sur la cocréation d’une stratégie d’innovation sociale et de finance sociale. Ottawa : Emploi et développement social Canada. ISBN : 978-0-660-27672-4. Repéré le 10 mars 2019 www.canada.ca/publicentre-EDSC

  3. Lubberink, R., Blok, V., van Ophem, J., Omta, O. (2017). Lessons for responsible innovation in the business context: A systematic literature review of responsible, social and sustainable innovation practices. Sustainability. 9(5): 721.

  4. Mulgan, G. (2006). The process of social innovation. Innovations: Technology, governance, globalization. 1(2) : 145-162.

  5. Silva, H.P., Lehoux, P., Miller, F.A., Denis, J.-L. (2018). Introducing Responsible Innovation in Health: A policy-oriented framework. Health Research Policy and Systems. 16(1): 90.

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