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Des crevettes, des champignons… et une molécule aux mille fonctions

Dernière mise à jour : 23 juin 2020


Crevettes

Allez, jouons un peu! Quel est le lien entre des crevettes, des champignons, des ailes de mouche et des larves d’insecte? Allez, un petit effort! Voici un indice. Grâce à lui, vous buvez de l’eau potable, vous dégustez votre Bordeaux préféré, et vous appliquez une crème anti-âge qui vous fait paraître dix ans plus jeune! Sous peu, vous pourrez bénéficier de nouveaux traitements pour le cancer ou encore des emballages alimentaires intelligents. Vous donnez votre langue au chat? Il s’agit bien évidemment du chitosane!


Bien que cette molécule soit partout autour de nous, la plupart des gens ignorent tout de son existence. Le chitosane, un des composés qui structurent le vivant, aura un impact majeur dans nos vies durant les prochaines décennies. Elle transforme déjà subtilement notre quotidien et a un potentiel d’utilisation dans plusieurs domaines. Le nombre de publications scientifiques à son sujet a d’ailleurs explosé au cours des dernières années, témoignant du grand intérêt qu’elle représente (Cheung, 2015).


La chitine, la mère du chitosane

La première chose à savoir, c’est qu’il n’y a pas de chitosane sans la chitine, substance de laquelle il est dérivé. La chitine est un polysaccharide, aussi appelé biopolymère, très abondant dans la nature. C’est le deuxième biopolymère le plus largement retrouvé juste derrière la cellulose. On dit qu’il y aurait constamment dix gigatonnes (1X1013 kg) de chitine dans la biosphère (Kaur, 2014), soit l’équivalent du poids de près de deux milliards d’éléphants! La chitine forme, entre autres, l’exosquelette des crustacés et des insectes, mais on peut également la retrouver dans les parois des cellules des champignons ou des algues. En somme, on pourrait dire que la chitine est aux crustacés ce que la cellulose est aux arbres!


Produire du chitosane : « option crustacés »

À la suite d’une série de procédures chimiques complexes de broyage, déminéralisation, déprotéinisation, blanchissage et tamisage, on arrive à extraire la chitine de la carapace des crustacés issus des résidus de la pêche commerciale. Pour ce qui est de notre principal intéressé, le chitosane, il prend forme lorsque l’on pousse plus loin les transformations chimiques de la chitine, notamment par un processus nommé la déacétylation qui consiste à éliminer un groupe acétyle (un radical de l’acide acétique). Ce dernier processus s’avère déterminant pour caractériser le chitosane. Plus le pourcentage de déacétylation est élevé, plus le produit final est de bonne qualité.


Chitosane made in Québec En 2012, la seule entreprise de production de chitosane en Amérique du Nord, la compagnie québécoise Marinard Biotech, s’est vue dans l’obligation de fermer ses portes, envoyant du même coup 2000 tonnes de résidus de crevettes au dépotoir. En effet, malgré une forte demande en chitosane, l’entreprise n’avait pas accès à assez d’eau potable pour alimenter à la fois la chaîne de production de chitosane et l’usine de décorticage de crevettes de son entreprise mère, Pêcheries Marinard. (Le Soleil, 2012).


À l’heure actuelle, la méthode traditionnelle de production de chitosane pour une utilisation commerciale à large échelle est donc principalement issue d’une ressource animale très abondante et renouvelable, quoique variable selon les saisons. On pourrait même aller jusqu’à dire que l’extraction de la chitine et du chitosane à partir de crustacés s’avère écoresponsable en ce sens qu’elle représente une méthode de revalorisation des déchets de la mer. Là où le bât blesse, c’est lorsque l’on scrute de plus près les caractéristiques liées à ce mode de production. D’abord, le processus est long et coûteux. Ensuite, la grande quantité de ressources qu’il exige ainsi que la génération importante de déchets toxiques le rend peu enviable sur le plan environnemental. La question d’une traçabilité efficace de la matière première peut également se poser. Enfin, la production issue d’une matière première reconnue pour son potentiel hautement allergène et les difficultés d’obtenir une déacétylation standardisée posent des limites importantes à l’utilisation dans plusieurs domaines. De plus, le chitosane produit par cette méthode contient régulièrement des impuretés et des contaminants et est inconstant en matière de qualité, cela étant peu compatible pour une utilisation dans le domaine médical.


Produire du chitosane : «révolution champignons»

Nous savons depuis plus de deux siècles que la chitine et ses dérivés existent dans les champignons. D’ailleurs, son petit nom était « fungine », bien avant celui de chitine (Miranda, 2012). Vous direz donc que l’idée de produire du chitosane à partir de sources fongiques n’est pas innovante en soi. Encore faut-il trouver la source fongique permettant la plus grande production de chitosane, la méthode d’extraction assurant le meilleur rapport qualité/prix, mais surtout être capable de produire à grande échelle.


Fermentation submergée Elle permet de produire de très importantes quantités de champignons desquels on extrait du chitosane de manière standardisée et d’une qualité constante répondant à la demande du domaine biomédical pour un produit pur. L’utilisation de champignons comme matière première a l’avantage d’être de source renouvelable et non animale.


C’est dans l’optique de répondre à ces défis techniques et environnementaux que s’attaquent des compagnies comme Micodev Group située au Nouveau-Brunswick. Le fondateur et chercheur principal, David Brown, s’intéresse au chitosane depuis plusieurs années et a réussi à produire du chitosane de grade pharmaceutique dérivé de sources fongiques grâce à un procédé nommé la fermentation submergée (matière organique immergée dans un milieu liquide). Il a remporté en 2017 un prestigieux prix d’innovation de la Gouverneure générale du Canada pour le développement de cette méthode alternative de production. Bien que cette approche soit connue depuis longtemps dans l’industrie du chitosane, Micodev Group est la première compagnie à la mettre en marché à large échelle. Elle change la manière dont le chitosane sera produit dans le futur (Sigma-Aldrich, 2016).

Il faut savoir que d’autres compagnies cherchent à produire autrement du chitosane. C’est le cas de la compagnie française SFly qui élève des larves de mouches afin d’extraire la chitine des ailes.


Le chitosane, une molécule recherchée

La vraie question demeure : que diable a-t-il de si spécial pour être réclamé de tous? Sa popularité tient du fait qu’il est versatile et qu’il peut être employé dans plusieurs domaines. En plus, son innocuité chez l’humain est établie depuis fort longtemps. Voici un petit tour d’horizon de l’utilisation actuelle et future de la molécule.


Aperçu de l'utilisation du chitosane

Source : Grand view research, 2017.


Biomédical et pharmaceutique De nombreuses études s’intéressent à son utilisation pour la science des biomatériaux et du génie tissulaire, pour la distribution de médicaments dans le corps, surtout pour les agents de chimiothérapie, pour le traitement des plaies et de la peau grâce à des propriétés procoagulantes et antibactériennes. On utilise déjà le chitosane dans les centres de traumatologie pour arrêter les saignements abondants en moins de quelques minutes. Il aurait du potentiel dans le traitement de différentes maladies du foie, des reins, des os, des vaisseaux sanguins, etc. Il est aussi actuellement utilisé comme agent pour diminuer le mauvais cholestérol ainsi que dans les domaines dentaire et ophtalmologique. (Islam, 2017; Cheung, 2015).


Environnement Le chitosane est très largement utilisé partout dans le monde pour le traitement des eaux usées en tant qu’agent floculant. Cela signifie que le chitosane permet aux matières en suspension que l’on retrouve dans les eaux usées de s’agglomérer pour former de plus grosses particules. Il permet de purifier l’eau des contaminants lourds de manière plus écologique et efficace que les floculants chimiques traditionnels. Face à l’accroissement important de la population en zone urbaine, notamment dans les pays en voie de développement, il est estimé qu’une partie importante de la demande mondiale future en chitosane provienne de ce domaine (Kanmani, 2017).


Agriculture Le chitosane semble prometteur comme agent protecteur des végétaux face aux pesticides polluants. Il permettrait aux plantes de stimuler leurs mécanismes de défense face aux insectes et aux maladies. Il serait aussi un bon fertilisant pour favoriser la croissance des plantes. De plus, il pourrait agir contre la désertification des sols causée par le réchauffement climatique (Kanmani, 2017).


Alimentation Selon sa composition, le chitosane est utilisé dans le domaine alimentaire pour différents besoins. On l’emploie entre autres comme agent de préservation, agent émulsifiant, agent de texture ou supplément diététique (on avance qu’il aurait des vertus pour lutter contre l’obésité). Comme il ne peut être complètement digéré par notre système digestif, il est utilisé comme fibres alimentaires. Il s’est montré efficace pour éliminer les bactéries pathogènes très présentes dans le domaine alimentaire (Salmonella, E.coli, Listeria) grâce à ses propriétés antibactériennes.


On explore actuellement son potentiel pour fabriquer de la pellicule alimentaire biodégradable. Il permettrait notamment de prolonger la durée de vie des aliments, luttant du même coup contre le gaspillage alimentaire. David Brown a aussi créé une autre compagnie spin-off, Chinova Bioworks, pour valoriser l’utilisation du chitosane dans le domaine alimentaire à titre d’agent de préservation naturel.

Le chitosane devient donc un allié de taille pour faire face aux défis environnementaux et de santé publique que l’humanité devra relever au cours des prochaines décennies. La nécessité de poursuivre les efforts de recherche pour produire du chitosane responsable à large échelle semble plus pertinente que jamais. À cet égard, peut-être le génie génétique, qui permet de modifier la constitution génétique d’un organisme en supprimant ou en introduisant de l’ADN, pourra-t-il nous apporter d’autres solutions. Depuis 200 ans, cette molécule ne cesse de nous étonner et continue de nous prouver qu’elle nous cache encore des secrets. Il ne tient qu’à nous de les découvrir!


Et maintenant, avouez que vous ne regarderez plus vos crevettes du même œil!


Catherine Vézina

Université de Montréal



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En donnant la chance à des étudiants de publier des articles vulgarisés sur des problématiques de santé publique, Hinnovic s’assure de donner la parole à la relève!




RÉFÉRENCES

  1. Cheung, R. C., Ng, T. B., Wong, J. H., et Chan, W. Y. (2015). Chitosan: An Update on Potential Biomedical and Pharmaceutical Applications. Mar Drugs, 13(8), 5156-5186. Repéré à https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4557018/

  2. Grand View Research. (2017). Chitosan Market Estimates And Trend Analysis By Application (Water Treatment, Pharmaceutical & Biomedical, Cosmetics, Food & Beverage), By Region (North America, Europe, Asia Pacific, RoW), By Country, And Segment Forecasts, 2018 – 2025. Repéré à https://www.grandviewresearch.com/industry-analysis/global-chitosan-market

  3. Islam, S., Bhuiyan, M. R. et Islam, M. (2017). Chitin and chitosan: structure, properties and applications in biomedical engineering. Journal of Polymers and the Environment, 25(3), 854-866.

  4. Kanmani, P., Aravind, J., Kamaraj, M., Sureshbabu, P. et Karthikeyan, S. (2017). Environmental applications of chitosan and cellulosic biopolymers: A comprehensive outlook. Bioresource Technology, 242, 295-303.

  5. Kaur, S. et Dhillon, G. S. (2014). The versatile biopolymer chitosan: potential sources, evaluation of extraction methods and applications. Critical Reviews in Microbiology, 40(2), 155-175.

  6. Miranda, S. et Lizárraga-Paulín, E. (2012). Is Chitosan a New Panacea? Areas of Application. Dans Desiree Nedra Karunaratne (dir.), The Complex World of Polysaccharides (p.1-44). Londres, Royaume-Uni : IntechOpen Limited. Repéré à https://www.intechopen.com/books/the-complex-world-of-polysaccharides/is-chitosan-a-new-panacea-areas-of-application

  7. Muxika, A., Etxabide, A., Uranga, J., Guerrero, P. et de la Caba, K. (2017). Chitosan as a bioactive polymer: Processing, properties and applications. International Journal of Biological Macromolecules, 105(Part 2), 1358-1368.

  8. Brown, D., Brunt, K. et Rehmann, N. (2016). Chitosan Biopolymer from Fungal Fermentation for Delivery of Chemotherapeutic Agents. Material Matters, 11(3). Repéré à https://www.sigmaaldrich.com/technical-documents/articles/material-matters/chitosan-biopolymer-from-fungal-fermentation.html


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