top of page

Autisme : du changement de perception à une meilleure inclusion

Dernière mise à jour : 19 mars 2020


Crédit photo : pycik via flickr CC.


En 1908, le psychiatre suisse Eugen Bleuler cherche à décrire un trouble mental impliquant « un repli du patient dans ses fantasmes, contre lequel toute influence de l’extérieur devient une perturbation intolérable » (Kuhn, 2004). Il utilise alors le terme grec autós (αὐτός) qui signifie « soi-même ». Il appellera cette difficulté « autisme ». Hinnovic a traité le sujet de l’autisme de différentes manières en une décennie, des bienfaits et des limites de l’hippothérapie ou plus généralement de la thérapie assistée par l’animal (TAA) chez les personnes autistes à l’approche béhaviorale ou encore à la vidéo-thérapie pour réduire le risque d’autisme chez les bébés.


Depuis plusieurs années, certains pays commencent timidement à porter un regard différent sur l’autisme et ses implications dans la vie des personnes qui ont reçu un diagnostic. Dans ce billet de notre catégorie « 10ème anniversaire », nous vous proposons dans un premier temps de faire le point sur la modification de la perception de la société sur ces personnes qui, selon une vision de plus en plus partagée, devraient plutôt être considérées comme « neurodivergentes », pour ensuite présenter quelques innovations visant à améliorer la vie des personnes autistes.


Un lent, mais nécessaire changement de perception de l’autisme

En matière d’autisme comme pour d’autres particularités du développement humain ne rentrant pas dans les cadres normatifs de nos sociétés, les a priori sont difficiles à combattre.

Selon l’Agence de santé publique du Canada (ASPC, 2018), « un enfant sur 66 (c.-à-d., un taux de 15,2 pour 1 000) âgé de 5 à 17 ans a reçu un diagnostic de TSA en 2015 ». De plus, toujours selon l’ASPC, « les diagnostics de TSA étaient quatre fois plus élevés chez les garçons que chez les filles ».

Par exemple, un film comme « Rain Man » a créé une image très erronée de l’autisme en caricaturant le comportement de Raymond, inspiré du personnage de Kim Peek qui avait le syndrome du savant. Comme le souligne la conférencière et autiste Marie Josée Cordeau, « prendre uniquement ses connaissances de l’autisme avec Rain Man est l’équivalent de s’illusionner d’apprendre le fonctionnement précis des services secrets britanniques en visionnant l’intégral du coffret du 50e anniversaire des films de James Bond ». Les idées préconçues sur l’autisme peuvent surtout s’expliquer par le fait que dans certains pays « développés », il était considéré comme une maladie mentale, ce qui n’est plus le cas en France depuis seulement un peu plus de 20 ans. Dans les années 70, on enfermait les malades dans des hôpitaux psychiatriques et on les gavait de médicaments. En Afrique, beaucoup attribuent des causes surnaturelles à l’autisme (!), même si là encore les mentalités évoluent lentement, notamment grâce à des organisations comme Autisme Afrique dont la vision « est de provoquer un changement de perception et des mentalités » dans les sociétés africaines tout en rappelant l’importance de l’éducation pour les enfants autistes.

Dans son livre « Autisme : j’accuse » (Ed. L’Iconoclaste, 2018), l’écrivain et comédien français Hugo Horiot va plus loin. Celui qui était non verbal durant l’enfance est devenu le porte-voix d’une nouvelle vision de l’autisme en France (et sûrement au sein de la francophonie). Selon lui, les personnes autistes ne sont pas déficientes, mais neurodivergentes. Son livre est donc un vibrant plaidoyer pour « l’acceptation du comportement social autistique », un comportement différent de la norme, mais pas l’absence de comportement social. De façon plus générale, il se pose en héraut d’un changement de paradigme sur le plan éducatif, de manière à passer de la « pédagogie différenciée à la didactique inclusive », qui s’applique d’ailleurs très bien pour d’autres formes de neurodivergences, comme la douance ou encore la dyslexie.


Pour diverses raisons, les femmes Asperger souffrent d’un déficit de diagnostic et très souvent d’une erreur de diagnostic. Par conséquent, il importe de mieux former et sensibiliser les professionnels de la santé sur cette problématique, comme le relate le site spectredelautisme.com dans cet article. Radio-Canada a également publié un article pertinent à ce sujet avec le témoignage d’une femme Aperger. Enfin, la française Julie Dachez explique son chemin vers une meilleure compréhension de sa façon de fonctionner en tant qu’adulte Asperger.

Il est également temps de changer notre perception des autistes Asperger. Cet ensemble de troubles envahissants du développement (TED) décrit pour la première fois en 1944 par le psychiatre Hans Asperger a une prévalence égale à celle du spectre autistique. Les autistes Asperger ont dans la plupart des cas des capacités intellectuelles au-dessus voire très au-dessus de la moyenne, avec parfois une mémoire encyclopédique. Cependant, ils auraient de grandes difficultés sur le plan social parce qu’être Asperger signifierait avoir du mal à comprendre les émotions des autres. On entend souvent dire que les autistes Asperger ne peuvent ressentir qu’environ le 10e des émotions d’une personne non Asperger. Cependant, depuis une dizaine d’années, certains spécialistes remettent en question cette difficulté à ressentir les émotions pour l’ensemble des personnes avec une condition autiste.

C’est le cas de Henry et Kamila Markram, tous deux chercheurs en neurosciences, spécialisés sur l’étude des cerveaux autistes. Il y a une décennie, ils ont publié une étude (Markram et al., 2007) dont les conclusions tendraient à montrer qu’a contrario, le cerveau autiste est hyperfonctionnel, ce qui rendrait les stimuli externes difficiles à supporter impliquant par réaction un repli social et émotionnel, comme une sorte d’autoprotection. Il y a 3 ans, une autre recherche impliquant plusieurs autres chercheurs ainsi qu’Henry et Kamila Markram (Fabre et al., 2015) suggéraient que ce sont les environnements non prévisibles et non stimulants qui déclencheraient les symptômes typiques de l’autisme. À l’inverse, des environnements prévisibles et stimulants permettraient de réduire les symptômes dès l’enfance. Même si elle a été effectuée sur des rats, cette étude permettra d’améliorer notre compréhension du cerveau autiste et de contribuer à en changer notre perception. Dans un article du Time, Kamila Markram note ainsi : « Pour nous, il est important que nous nous éloignions du modèle du déficit pour comprendre l’autisme. Les enfants autistes sont en réalité hyperfonctionnels, mais ils ont du mal à supporter leur environnement ».


Quelques exemples inspirants


La stagiaire Camille et David Guillemet – Crédit : sans-transition-magazine.info


En France, David Guillemet, un adulte Asperger, a créé une exploitation agricole au sein de laquelle des adolescents et adultes autistes viennent effectuer des stages. Dans cette ferme au cœur de la Bretagne dont les produits sont biologiques, les stagiaires apprennent à s’occuper des bêtes ou encore à conduire le tracteur. Comme il est mentionné dans l’article de Reporterre, « l’œuvre de David Guillemet est extrêmement novatrice, car elle fournit un cadre social adapté et permet aux jeunes de s’exprimer et de percer le plafond de verre qui les touche : le problème de l’emploi et de l’acceptation.

  1. Née de l’initiative de Bruno Wicker (Ph.D), Aspertise est une entreprise spécialisée dans la conception de logiciels informatiques. Cependant, elle est atypique tout comme le sont ses employé(e)s. En effet, Aspertise a été créée pour fournir un cadre de travail adapté aux personnes neurodivergentes (autistes, Aspergers, Hauts Quotients Intellectuels, etc.). L’entreprise est basée à Paris et à Montréal et est en recrutement.

  2. « Aider les employeurs et les organisations à comprendre, valoriser et intégrer la perspective et les capacités uniques des personnes sur le spectre de l’autisme » est la mission de Specialisterne. Cette entreprise danoise possède désormais des bureaux dans plusieurs pays, dont un à Toronto pour le Canada.

  3. Dans son mémoire de maîtrise, Irini Blais (2016) s’est intéressée aux éléments du design intérieur qui peuvent améliorer la qualité de vie des adultes autistes. Il se dégage 4 constats de sa recherche : un plan d’aménagement d’un environnement favorable aux bien-être des autistes doit impliquer, 1/ de rendre l’abstrait le plus concret possible, 2/ d’aménager des zones de retrait social, 3/ d’offrir une diversité d’ambiances et 4/ d’offrir un encadrement sécuritaire.

Il existe beaucoup d’autres initiatives visant à améliorer et à faciliter la vie des personnes autistes, que ce soit des enfants ou des adultes. La dernière décennie a vu un début de changement d’attitude de nos sociétés vis-à-vis de ces personnes qui ont des façons différentes, mais non moins bonnes de ressentir leur environnement et de penser. De façon plus générale, notre changement de perception des autistes devrait également nous faire réfléchir sur la différence et sur les normes établies à partir de différents facteurs et qui malheureusement ostracisent des personnes qui « sortent » des normes.


Jérémy Bouchez


RÉFÉRENCES


  1. Agence de santé publique du Canada. (2018). Blogue de données. Troubles du spectre de l’autisme au Canada. Récupéré de https://infobase.phac-aspc.gc.ca/datalab/autism-blog-fr.html

  2. Blais, I. (2016). L’environnement intérieur et l’autisme: Un Centre de jour pour adultes. Mémoire de maîtrise. UQAM.

  3. Favre, Mã´. R., La Mendola, D., Meystre, J., Christodoulou, D., Cochrane, M. J., Markram, H., & Markram, K. (2015). Predictable enriched environment prevents development of hyper-emotionality in the VPA rat model of autism. Frontiers in Neuroscience, 9. https://doi.org/10.3389/fnins.2015.00127

  4. Horiot, H. (2018). Autisme: j’accuse !. Paris : L’iconoclaste.

  5. Kuhn, R., & Cahn, C. H. (2004). Eugen Bleuler’s Concepts of Psychopathology. History of Psychiatry, 15(3), 361‑366. https://doi.org/10.1177/0957154X04044603

  6. Markram, H. (2007). The intense world syndrome – an alternative hypothesis for autism. Frontiers in Neuroscience, 1(1), 77‑96. https://doi.org/10.3389/neuro.01.1.1.006.2007


bottom of page