L’idée de prévention véhiculée dans le discours de santé publique et largement médiatisée a fait un bon bout de chemin dans la tête de la population.
Manger mieux, faire de l’exercice, éviter la cigarette et la consommation excessive d’alcool afin de se maintenir en santé, d’éviter la maladie ou de retarder la fin ultime sont des comportements que peu remettraient en question. Une population en santé réduit la pression sur le système de santé et par conséquent en diminue les coûts. Tout le monde y gagne, tant les individus en meilleure santé grâce à des comportements préventifs que la société.
Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que, toute technologie qui permet de prévenir la maladie soit accueillie avec enthousiasme. Les technologies de dépistage, en particulier, suscitent un certain engouement. Certaines permettent de détecter des cancers à un stade où ils sont éventuellement plus faciles à traiter. D’autres permettent de prévenir la naissance d’individus handicapés qui ne bénéficieraient pas de la même qualité de vie ou longévité que la majorité des personnes, et constitueraient un fardeau économique pour la société. Devant ces dernières technologies de dépistage, un minimum de responsabilité éthique requiert toutefois qu’on se pose la question : vaut-il toujours mieux prévenir que guérir?
Si l’on en croit les média, il semble que oui. Entre janvier 2000 et janvier 2006, les quotidiens francophones et anglophones canadiens ont publié 12 articles annonçant « une percée technologique longuement attendue » : de nouveaux tests de dépistage prénataux qui permettraient de détecter des fœtus atteints du syndrome de Down (communément appelé trisomie 21) au premier trimestre de grossesse, comparativement à des tests déjà connus et utilisés qui ne permettent cette détection qu’au deuxième trimestre de grossesse. Dans plusieurs pays, ces tests sont déjà intégrés aux examens de routine de toutes les femmes enceintes. Parmi ces articles :
83% (10/12) présentaient les tests de dépistage comme une solution à un problème : le syndrome de Down.
92% (11/12) discutaient d’au moins un avantage de ces tests tandis que seulement 17% (2/12) abordaient au moins un inconvénient de ces tests.
Comportent une efficacité accrue par rapport aux tests de dépistage du deuxième trimestre.
Étant administrés plus tôt (précocité) dans la grossesse :
Ils permettent aux médecins d’orienter leur patientes vers des tests plus appropriés lorsque nécessaire et ainsi de réduire le nombre d’amniocentèses. Ce test diagnostique est beaucoup plus invasif et comporte un risque élevé de fausse couche, y compris de fœtus en santé.
Pour la femme enceinte, ils permettent de terminer la grossesse à un stade où celle-ci est médicalement moins risquée, émotionnellement moins traumatisante et socialement moins publique ou visible.
Alternativement, ils permettent aux futurs parents de se préparer à la venue d’un enfant atteint du syndrome de Down.
Et pour la majorité des futurs parents, ils permettent de réduire la période d’anxiété qui accompagne l’attente de résultats de tests.
Ils sont moins coûteux et sans risque pour la mère.
Pour l’instant, l’accès à ces tests au Québec et au Canada est limité.
Le dépistage prénatal n’offre aucune solution thérapeutique. La seule mesure préventive qui l’accompagne est l’interruption de grossesse.
L’élimination systématique de fœtus atteints du syndrome de Down pourrait porter préjudice aux personnes déjà atteintes de ce syndrome et à leur famille et réduire les services auxquels elles ont accès.
Comme du point de vue des médecins ces tests sont hautement désirables, rien ne garantit que ces derniers soient en mesure d’offrir aux futurs parents une information complète et objective sur ces tests et leurs implications. Or, seule une telle information permettrait un choix informé, une décision éclairée.
L’efficacité de ces nouveaux tests de dépistage repose grandement sur la formation des spécialistes et la précision des instruments de mesure (AÉTMIS, 2003 :45). Aucune étude à ce jour n’a permis de démontrer l’efficacité pratique de ces techniques. En effet, là où ils sont implantés, les programmes de dépistage précoce ne donnent pas les effets escomptés sur le taux de détection. On remarque également une grande hétérogénéité des services offerts et des résultats obtenus d’une région à l’autre (AÉTMIS, 2003 : 46).
Au Québec, le dépistage du syndrome de Down au premier trimestre ne peut être confirmé que par l’amniocentèse, seul test pouvant établir un diagnostic ferme. Or, cette dernière est plus risquée lorsque pratiquée avant la 14e semaine. Elle peut provoquer une fausse-couche, y compris la perte d’un fœtus en santé. De plus, il s’écoule au minimum un mois entre les résultats du dépistage et le diagnostic final. Il s’agit là d’une longue période d’angoisse pour les parents en attente de résultats, qui de plus, reporte l’éventualité de terminer la grossesse à un stade déjà avancé, limitant ainsi l’un des principaux avantages de ces tests (la précocité) (AÉTMIS, 2003 : 45).
Un dépistage précoce permettrait l’identification d’un certains nombres de fœtus qui auraient de toute façon avortés spontanément avant terme, plaçant d’une part, les parents devant des décisions difficiles qu’ils n’auraient pas eu à prendre sans cette intervention (AÉTMIS, 2003 :45) et demandant d’autre part à la collectivité de payer pour une intervention inutile.
Un programme de dépistage précoce s’inscrivant dans la routine du suivi de grossesse impliquerait également des changements à ce niveau. La première rencontre devrait se faire plus tôt et les parents devraient prendre la décision de dépistage presqu’au même moment où la grossesse est confirmée (AÉTMIS, 2003 : 45-46). Ici encore, les coûts associés à un suivi de grossesse qui commencerait plus tôt pour une majorité des femmes n’a pas fait l’objet d’une évaluation systématique.
Le diagnostic prénatal n’offre « aucune information sur le degré de retard mental de l’enfant à naître ni sur la présence ou non de malformations graves » (AÉTMIS, 2003 : XI) qui pourraient orienter une décision éclairée. Dans le cas du syndrome de Down, ces caractéristiques peuvent être de très légères à très sévères. Donc, à partir de quel moment devient-il médicalement, socialement et éthiquement justifié de sélectionner les enfants à naître?
Vaut-il mieux prévenir que guérir? En plus de poser de sérieux problèmes éthiques, un programme de dépistage précoce du syndrome de Down, sur une base populationnelle, impliquerait des coûts émotifs, éthiques et économiques pour une majorité de femmes qui en bout de ligne, porteraient un fœtus en santé et pour un certains nombre de femmes qui ne se rendraient pas au bout de leur grossesse de toute façon. N’est-ce pas là s’enthousiasmer un peu rapidement pour une technologie qui a pour conséquence de « contribuer à l’augmentation des coûts en soins de santé tout en détournant l’argent qui pourrait servir à soigner des personnes âgées et malades (voire même des personnes atteintes du syndrome de Down) vers des personnes jeunes et en santé? » (Traduction libre : Heath, 2004 : 83)
Rapport d’AÉTMIS disponible à : http://www.aetmis.gouv.qc.ca/site/fr_down.phtml
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RÉFÉRENCES
Heath I. (2004). View of Health Technology Assessment from the Swampy Lowlands of General Practice. International Journal of Technology Assessment in Health Care. 20 (1): 81-86
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