Marc-André Gagnon et Joel Lexchin, Professeur à l’Université York, ont développé un estimé plus robuste des dépenses de l’industrie pharmaceutique américaine et ont observé que celle-ci dépense presque deux fois plus en frais de promotion qu’en frais de R&D. En 2004, jusqu’à 57.5 milliards de dollars américains étaient dépensés en promotion (24,4% des ventes annuelles), ce qui équivalait à environ 61,000$US par médecin. Cette première observation réfutait l’argument selon lequel une réglementation gouvernementale plus conviviale serait légitime puisque ces entreprises investissent énormément en recherche afin de développer des molécules innovantes.
Selon Gagnon, entre 1996 et 2004, le nombre de médecins aux Etats-Unis augmentait de 38% alors que le nombre de représentants des ventes au sein des pharmaceutiques augmentait de 150%. Durant cette même période, le nombre de réunions promotionnelles augmentait de 254%, les médecins faisant partie des plus grands prescripteurs recevaient de 2 à 4 fois plus de visites de représentants, le financement privé de l’éducation médicale continue augmentait de 465% (dépassant la part de financement public) et la promotion directe auprès des patients augmentait de 509%. Même si des lignes directrices en matière d’éthique et des décharges accompagnent la plupart de ces activités, le problème est que la plupart des individus, incluant les médecins eux-mêmes, pensent que de telles stratégies marketing n’affectent en rien leur jugement. Or, une grande quantité d’études démontre que les pratiques de prescription de médicaments sont directement influencées par le marketing (voir www.pharmaceuticalpolicy.ca).
une conférence récente, Gagnon a présenté une analyse détaillée du modèle d’affaires dominant chez les plus grandes pharmaceutiques : 17 entreprises qui se partagent 64% du chiffre d’affaires mondial. Il démontre comment elles se sont massivement engagées dans la production de connaissances médicales. Jusqu’à 70% de leur budget de R&D est confié à des entreprises de recherche sous contrat (dont l’indépendance est quasi nulle) afin de conduire différents types d’essai clinique et 30% est confié à des chercheurs universitaires sous des règles contractuelles strictes (incluant la non divulgation des résultats).
Selon Gagnon, 75% des essais cliniques de Phase IV (post-marketing) soutenus par les pharmaceutiques sont établis à des fins essentiellement promotionnelles, comparant par exemple l’efficacité d’un médicament à celle d’un placebo. Pourtant, de telles études, lorsque menées de manière rigoureuse et indépendante, s’avèrent extrêmement utiles afin de mieux connaître les effets secondaires d’un médicament ou encore d’établir un rapport coût/efficacité comparant deux médicaments concurrents. L’industrie introduit donc des biais systémiques dans le paysage de la recherche clinique en y faisant croître ses propres publications.
En parallèle de ce nombre croissant d’essais cliniques pilotés par l’industrie, l’écriture en sous main (“ghostwriting”) s’est développée. Des médecins et chercheurs se font offrir de signer à titre d’auteur des articles rédigés par du personnel engagé par les compagnies pharmaceutiques. Même si ces articles sont soumis à la révision par les pairs des revues scientifiques, grâce à des formulations habiles et stratégiques (dans le résumé et les conclusions notamment), ils dressent un portrait toujours avantageux de résultats qui dans les faits ne sont pas très concluants. Selon Gagnon, les médecins qui acceptent de participer à la conduite ou à la publication des essais cliniques des pharmaceutiques ont souvent de bonnes intentions et contribuent à produire une science qui peut, à première vue, être considérée de qualité. Toutefois, même s’ils n’enfreignent pas de règles formelles en matière d’éthique, ils n’en deviennent pas moins partie prenante d’un système qui transforme profondément la valeur globale de la recherche clinique.
Si le paysage actuel de la recherche clinique change, c’est parce que l’un des principaux impératifs derrière le modèle d’affaires des grandes pharmaceutiques est de répondre à la quête de croissance économique de leurs actionnaires. Très peu d’individus et d’organisations peuvent choisir d’ignorer les nouvelles règles du jeu : il s’agit là de la caractéristique principale des dynamiques institutionnelles. Ce qui nous manque alors cruellement, ce sont des analyses qui puissent mener au développement de modèles d’affaires différents, qui viseraient d’abord à produire des sociétés en santé.
Auteure : Pascale Lehoux, Ph.D.
RÉFÉRENCES
Gagnon, M.-A., Lexchin, J. (2008) The Cost of Pushing Pills: A New Estimate of Pharmaceutical Promotion Expenditures in the United States. PLoS Med 5(1): e1. doi:10.1371/journal.pmed.0050001
Gagnon, M-A. (2009). The Dominant Business Model in the Pharmaceutical Sector: Profits Based on Control over Medical Knowledge. McGill Continuing Medical Education, Montreal, November 12, 2009.
Gagnon, M.-A. (2009). “Le modèle d’affaires de la pharmacie: Des profits fondés sur le contrôle du savoir medical” Présentation pour le Collège des Médecins du Québec, 16 juin 2009.
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