Pour mieux combattre les démons des soldats traumatisés, un nombre croissant de scientifiques suggèrent la thérapie par exposition en réalité virtuelle (TERV). Le plus ardent promoteur de cette méthode, le psychologue clinicien Albert « Skip » Rizzo, est un pionnier en la matière et le père de Bravemind, le système de réalité virtuelle le plus sophistiqué à ce jour pour traiter les combattants atteints d’un TSPT.
« La thérapie par exposition prolongée est l’une des approches dont l’efficacité est la mieux documentée pour soigner les individus souffrant d’un TSPT, rappelle le professeur de l’Université de la Californie du Sud. Un tel traitement implique habituellement pour la victime d’imaginer et de raconter ses souvenirs de l’événement traumatique de façon répétée dans un cadre thérapeutique. (…) Plusieurs patients ne veulent pas ou n’arrivent pas à visualiser de manière efficiente les événements en question. En fait, l’évitement des souvenirs ou des rappels en lien avec le trauma sont inhérents au TSPT et en est l’un des principaux symptômes » (Rizzo et al., 2013, trad. lib.).
L’immersion dans un environnement virtuel, contrôlé par un clinicien, permet justement de contourner ce problème. Cette technique a déjà remporté un certain succès auprès des vétérans de la guerre du Vietnam, des survivants du 11-Septembre, des patients cancéreux, des individus aux prises avec différentes phobies, des grands brûlés, des personnes âgées souffrant d’Alzheimer et d’enfants présentant un trouble du déficit de l’attention.
Bagdad comme si vous y étiez
Skip Rizzo perfectionne Bravemind depuis 2003. D’abord inspiré du jeu vidéo Full Spectrum Warrior, le système de TERV comporte aujourd’hui une quinzaine de scénarios qui téléportent les patients militaires dans les rues de Bagdad ou sur les routes poussiéreuses de l’Afghanistan. À bord d’un Humvee, à pied ou en hélicoptère, le patient revivra les événements qui l’ont traumatisé selon le récit qu’il en aura fait à son thérapeute – qui n’est d’ailleurs jamais bien loin, modulant la progression du scénario selon les réactions du soldat et faisant un retour avec celui-ci après la session.
Les concepteurs de Bravemind ont poussé le réalisme à l’extrême. En plus des images ultra-léchées, les militaires ont droit à un siège immersif – comme au cinéma! – et à des odeurs typiques des scènes de combat : caoutchouc brûlé, gazoline, ordures, épices, mouton rôti, sueur… On leur transmet aussi des sons qui ont été enregistrés sur place comme le trafic de Bagdad, des gens conversant en arabe, des bottes qui foulent le sol et des coups de fusil.
Malgré la taille réduite de leur échantillon – rarement plus d’une vingtaine de sujets – des études cliniques menées par différents chercheurs américains démontrent l’efficacité de la TERV chez les militaires (Miyahira et al., 2012). L’équipe de Skip Rizzo a notamment testé Bravemind auprès de 20 soldats en service actif. Après une moyenne de 11 sessions, 16 d’entre eux ne présentaient plus de symptômes de TSPT et leur état était toujours stable trois mois plus tard (Rizzo et al., non daté).
Bravemind est actuellement utilisé par 55 cliniques américaines. Le gouvernement canadien l’a également acquis l’année dernière pour la somme de 20 000$. Pour nombre de chercheurs et de cliniciens, c’est la voie de l’avenir, surtout en ce qui a trait aux vétérans de l’Irak et de l’Afghanistan qui, pour la plupart, ont grandi avec les jeux vidéo.
Quand les militaires refusent de consulter
Néanmoins, certains obstacles demeurent. La stigmatisation des problèmes de santé mentale au sein des forces armées a la vie dure. Quantité de militaires nient qu’ils ont besoin d’aide. D’autres ne complètent jamais leur thérapie.
Skip Rizzo en est bien conscient et c’est pourquoi il a trouvé d’autres usages à la réalité virtuelle. Il a inventé SimCoach, un service en ligne où les soldats et leurs proches peuvent interagir de façon anonyme avec un thérapeute virtuel. L’objectif de SimCoach n’est pas d’offrir un diagnostic ou un traitement, mais plutôt de répondre aux questions des combattants et de les sensibiliser à l’importance de consulter un thérapeute en chair et en os.
Il y a aussi STRIVE, une version de Bravemind qui permet d’entraîner psychologiquement les soldats avant leur déploiement. À l’aide de 30 épisodes d’une dizaine de minutes mettant en scène des événements traumatisants (comme voir des restes humains, tuer un ennemi, être témoin de la mort d’un civil), un psychologue enseigne aux militaires des stratégies d’adaptation cognitives. Skip Rizzo croit qu’un tel « entraînement à la résilience » pourrait réduire, voire prévenir le TSPT de même que la dépression, l’abus de drogue et d’alcool et le suicide.
À voir ou revoir Notre dossier sur la Cyberpsychologie et notre dossier sur la Médecine militaire et santé civile
Auteure :Marie Lambert-Chan
RÉFÉRENCES
Rizzo, A. “Skip”, Buckwalter, J.G., Forbell, E., Reist, C., Difede, J., Rothbaum, B.O., Lange, B., Koenig, S., Talbot, T. (2013). Virtual reality applications to address the wounds of war. Psychiatric Annals 43:3
Miyahira, S.D., Folen, R.A., Hoffman, H.G., Garcia-Palacios, A., Spira, J.L., Kawasaki, M. (2012). The effectiveness of VR exposure therapy for PTSD in returning warfighters. Studies in Health Technology and Informatics. 181 : 128-132.
Rizzo, A.S., Difede, J., Rothbaum, B., Daughtry, J.M., Reger, G. (non daté). Virtual reality as a tool for delivering PTSD exposure therapy.
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