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Et si l’innovation scientifique c’était « Mais, pourquoi pas ? »


Crédit photo : Bioprocess Online

Crédit image : Bioprocess Online


Elias Zerhouni est un éminent membre du Collège de France qui a eu l’insigne honneur de diriger à partir de 2002, et à titre de 15e président de leur histoire, ces grands organismes de recherche biomédicale aux États-Unis que sont les divisions du National Institutes of Health (NIH). À travers sa manière de concevoir l’innovation, il a également transformé ces organismes en profondeur.


En 2011, le Collège de France qui venait de l’accueillir en son sein, a publié, comme c’est la tradition, une petite plaquette contenant l’intégralité de la conférence inaugurale du Professeur Zerhouni. J’ai eu la grande surprise de constater en prenant connaissance de ce texte qu’il y était beaucoup question des processus organisationnels de la recherche d’aujourd’hui – et à toutes fins utiles de demain ! – menant à l’innovation.


Le Collège de France « Depuis sa fondation en 1530, le Collège de France a pour principale mission d’enseigner, non des savoirs constitués, mais « le savoir en train de se faire » : la recherche scientifique et intellectuelle elle-même. Les cours y sont ouverts à tous, gratuitement, sans inscription ni délivrance de diplôme. Conformément à sa devise (Docet omnia, « il enseigne toutes choses »), le Collège de France est organisé en cinquante-deux chaires couvrant un vaste ensemble de disciplines. (…) Le premier cours d’un nouveau professeur est sa leçon inaugurale. »

Source : Zerhouni, E. (2011: 13)

Qu’ai-je glané du fascinant petit livre (90 pages) d’Elias Zerhouni? Évidemment, des citations de l’auteur qui sont hautement interpellantes côté « médecine de demain » et côté « innovation en marche » (surtout leurs processus organisationnels d’aujourd’hui, à mon sens déjà fort révolutionnaires).

Voici une citation qui impressionne le journaliste médical que je suis:

La leçon est qu’aucune organisation dédiée à la science ne saurait vraiment être audacieuse sans consacrer spécifiquement un certain pourcentage de ses ressources à une recherche à haut risque. – Elias Zerhouni

Cette assertion donne déjà le ton, n’est-ce pas ? Et puis c’est quelqu’un dont on apprend qu’il a la délicieuse manie de défaire certaines certitudes trop bien ancrées : celle par exemple qui affirmerait haut et fort que nos chercheurs contemporains, armés des technologies médicales hyperpuissantes actuelles, ont déjà tout bien compris les systèmes et sous-systèmes définissant la bonne marche du corps humain…

Il a ainsi ces mots : « un paradoxe apparent est de croire qu’en étudiant la Nature à des échelles de plus en plus petites, des organes aux tissus, puis aux cellules et jusqu’aux molécules, la science devient plus simple; c’est mathématiquement incorrect. Par exemple, le calcul du nombre de conformations et d’interactions possibles d’une simple protéine en trois dimensions excède la capacité des ordinateurs les plus puissants : c’est d’ailleurs une des questions les plus complexes de la biologie contemporaine. »


Les NIH (pour National Institutes of Health) « Les origines des NIH remontent à la création du premier hôpital de la marine américaine, en 1798. En 1887, son premier laboratoire d’hygiène fut créé (…) C’est seulement en 1930 que le Congrès créa nommément, à partir de ce laboratoire, les NIH, dotés de leur mission de recherche fondamentale. (…) Aujourd’hui, avec un budget annuel de 31 milliards de dollars, les NIH soutiennent plus de 10,000 scientifiques issus de leurs propres laboratoires et plus de 300,000 chercheurs et personnels de laboratoire appartenant à près de 3000 institutions du monde entier. »

Source : Zerhouni, E. (2011: 61-62)


« Leçons personnelles en innovations biomédicales »

Au milieu du volume, dans un chapitre intitulé « Leçons personnelles en innovations biomédicales », l’auteur nous confie que la première expérience à façonner sa carrière fut celle qui l’a amené à réaliser que, pour le spécialiste en imagerie médicale qu’il était, la force majeure en matière d’innovation était la convergence pouvant exister – si on s’efforçait de bien la promouvoir – entre les sciences physiques quantitatives et les sciences biologiques.

Parlant par exemple de l’auscultation de Laënnec en 1819 avec le stéthoscope qui a révolutionné la pratique médicale, voilà qu’il fait ressurgir l’un des plus célèbres médecins de notre histoire, le Saskatchewanais d’origine, le grand William OSLER : « Grand admirateur de Laennec, OSLER (1849-1919) diffusa cette méthode à McGill et à John Hopkins (Baltimore). (En outre), le pathologiste montréalais croyait aux microscopes et au laboratoire biomédical pour étudier les patients. En 1896, OSLER manifesta même le besoin qu’un appareil radiologique soit acheté dès que possible pour les services des médecins et chirurgiens. (Tout cela se passait « 4 mois à peine après la découverte des rayons « X » par ROENTGEN ». C’est vous dire !)


Elias Zerhouni

Elias Zerhouni (NIH)


La seconde grande expérience de ses années d’apprentissage a pour nom : interdisciplinarité. Au début de sa carrière, comme résident en radiologie, la communauté scientifique rencontra des problèmes de reproductibilité de certains travaux du Dr Zerhouni (autour des nodules de calcium à la source de cancers du sein), ce qui, en plus de le « fragiliser » professionnellement, l’obligea, à la recherche d’une explication, à explorer les systèmes d’imagerie de l’intérieur. Cela revenait à plonger en apnée dans un monde qu’il ne pouvait maîtriser parce que trop large pour le spécialiste qu’il était.

Zerhouni fit alors la plus probante des démonstrations de la force multidisciplinaire vis-à-vis, surtout, des problématiques complexes. Il rassembla autour de lui « des astronomes maîtrisant les algorithmes de reconstruction des images ; physiciens et ingénieurs connaissant le fonctionnement des scanners au niveau fondamental; biologistes et pathologistes comprenant le métabolisme du calcium et son mode de déposition dans les lésions tumorales. Là, poursuit-il, j’ai acquis la profonde conviction que la recherche médicale devenait de plus en plus interdisciplinaire et requérait la levée des barrières entre les disciplines. » (Ce qui revenait à dire : « Il faut éviter l’isolement des disciplines médicales et encourager leur hybridation ».)

Troisième grande révélation eu égard les innovations fut : « Mais, pourquoi pas ? » Zerhouni raconte que, sa résidence terminée, sitôt arrivé au département de radiologie à John Hopkins, il développa quelques idées de recherches préliminaires de son cru « sur le concept d’image numérisée pour extraire des informations fonctionnelles ou biologiques du corps humain. » Il poursuit ainsi : « Mon mentor à l’époque, le professeur Stanley Siegelman, m’a simplement dit : « Bien, je ne suis pas sûr de la valeur de ça, mais pourquoi pas ? (…) En innovation scientifique, il est essentiel d’adopter une attitude ouverte et il vaut mieux répondre « pourquoi pas ? » à une idée nouvelle, plutôt qu’un simple « pourquoi ? » Cette attitude fut confortée plusieurs fois ensuite dans ma carrière. »

Écrite en 2011, la conclusion de son ouvrage ès innovation a un drôle de goût d’actualité canadienne : «  L’avenir de l’innovation biomédicale ne doit pas être seulement focalisé sur l’innovation technologique, mais doit également intégrer l’innovation sociale (…) Je rêve de voir des campagnes électorales où le politicien verra se jouer sa réélection non seulement sur son succès vis-à-vis de l’emploi, mais aussi sur le bilan de ses actions en santé publique. »

Luc Dupont

Auteur :Luc Dupont Journaliste scientifique

RÉFÉRENCES


  1. Zerhouni, E. (2011). Les grandes tendances de l’innovation biomédicale au XXIe siècle. Leçons inaugurales du Collège de France. Paris : Collège de France/Fayard.

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