Grand-maman vous téléphone. « Besoin de support technique! » Elle n’arrive pas à télécharger l’application Alerte COVID sur son téléphone intelligent, âgé d’à peine quatre ans. « Oublie ça mamie, ton système d’exploitation n’est pas assez puissant. » Sa seule option : se procurer un nouvel appareil, une idée aussitôt rejetée. Et mamie de retourner à son confinement.
Innover, oui, mais comment?
En attendant l’arrivée imminente d’un vaccin, nous continuons de compter sur les solutions mises à notre portée. Mais à la portée de qui, au fait? En période de pandémie, deux caractéristiques propres à l’innovation changent radicalement : le rapport au temps et le rapport aux ressources. Pour autant, cela ne devrait pas miner notre capacité à inventer pour répondre « aux défis et besoins des systèmes de santé de façon pérenne ». C’est exactement ce que prône l’innovation responsable en santé (IRS), qui examine le cycle de vie complet d’une innovation (de sa conception à sa mise en marché).
Prenons par exemple la rapidité avec laquelle des innovations ont été développées et mises à la disposition de la population. La perspective de l’IRS met en lumière des questions importantes. Les applications de traçage qui visent à briser le cycle d’infection violent-elles les droits fondamentaux à la vie privée et à l'autonomie ? Quels sont les impacts de ces solutions sur l'environnement ? Les tests de diagnostic contribuent-ils à réduire ou à accroître les inégalités en matière de santé ? Des inégalités dont certaines ont été révélées de manière criante par la crise de la COVID-19.
Début novembre, on rapportait que 90 % des victimes du nouveau coronavirus au Québec étaient âgées de 70 ans et plus. Il est donc étonnant de constater qu’Alerte COVID, l'application gratuite de notification d'exposition du Canada, exclut les personnes qui ne possèdent pas de téléphone dernier cri. Ottawa estime que seulement 94 % des téléphones sont assez récents pour télécharger Alerte COVID, laissant 6% de la population en reste, soit plus de 2 millions de personnes.
Justement, une cartographie récente montre que l'accès à la technologie nécessaire pour utiliser ces applications de traçage est très inégal, ce qui pénalise les groupes vulnérables, comme les personnes âgées. La capacité à tirer parti de ces applications varie selon notre situation socio-économique, notre position sociale ou encore nos capacités individuelles.
En analysant en détail 47 applications de recherche de contacts dans 28 pays, les chercheurs ont conclu que beaucoup d'entre elles posaient des problèmes éthiques : 23 % des applications n'avaient pas de politique de confidentialité, 53 % ne divulguaient pas la durée de conservation des données des utilisateurs et 60 % n'avaient pas de mesures d'anonymat déclarées publiquement. Cela se passe de commentaires.
Un modèle d’affaire responsable
Le bien commun s’est quand même frayé un chemin au cours de la crise sanitaire. À preuve, l’initiative mondiale Hack The Pandemic, qui regroupe des concepteurs, des fabricants et des bénévoles qui travaillent avec des prestataires de soins de santé. Tous ont travaillé à mettre au point des équipements de protection individuelle afin de lutter contre la COVID-19.
Copper 3D, une entreprise chilienne, fait partie de cette initiative. Elle a développé une technologie d’impression 3D avec des matériaux antimicrobiens et antiviraux contenant des particules de cuivre. Motivée par la pénurie de masques de protection en Amérique latine, la société a suspendu ses droits de propriété intellectuelle sur l’un de ses produits. Il s’agit d’un masque « réutilisable, personnalisable, monobloc, antimicrobien, antiviral et fabriqué avec des nanocomposants en cuivre ». Copper 3D a autorisé l’accès aux fichiers d’impression 3D, rendant son l’innovation libre de droits d’exploitation.
En adoptant cette stratégie commerciale alternative, Copper 3D soutient l'innovation responsable en santé. Bien sûr, une technologie qui génère une meilleure santé individuelle est précieuse. Malgré cela, les innovations responsables en santé devraient avant tout accroître notre capacité à répondre aux besoins collectifs.
Ces initiatives, espérons-le, en inspireront d’autres. Car après tout, bien commun et innovation responsable en santé sont des mots qui vont très bien ensemble.
PAROLE DE CHERCHEUR
Hudson P. Silva, PhD
Pour contacter Hudson P. Silva :
hp.silva@umontreal.ca
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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