L’expérience bouleversante du deuil est commune : en 2012, 60 800 personnes sont décédées au Québec (Institut de la statistique du Québec, 2012). En multipliant les initiatives et les services liés au deuil, la Maison Monbourquette souhaite également dissiper le tabou de la mort qui prive les endeuillés des moyens d’épancher leur douleur.
Quand le deuil devient pathologique
Selon plusieurs observateurs, les sociétés modernes seraient en proie à un phénomène de médicalisation du deuil (Lemieux, 2002). Les symptômes de détresse liés à la perte d’un proche seraient plus rapidement considérés comme pathologiques par certains professionnels de la santé (médecins de famille, psychiatres), qui utilisent pour les atténuer des moyens mis à leur disposition par la biomédecine – soit essentiellement la prescription de psychotropes : antidépresseurs, anxiolytiques.
Alors que les psychologues et intervenants spécialisés savent pourtant que le processus de deuil peut s’étendre sur plusieurs mois voire plusieurs années, on attendrait ainsi des endeuillés qu’ils reprennent une vie normale après seulement quelques semaines (Déchaux, 2004). Aussi, le diagnostic de « deuil pathologique » peut être posé, selon le DSM IV, après seulement deux mois de symptômes liés à la perte (Bourgeois, 2006). « Les étapes « normales » du deuil tendent à rétrécir au fur et à mesure que sa médicalisation se généralise. […] Considéré comme pathologique après une période de soixante jours, le deuil s’apparente donc, selon les experts, à un état dépressif devant être traité et médicamenté » (Lafontaine, 2011).
Cette médicalisation du deuil pourrait être une conséquence de l’isolement des personnes endeuillées et du manque de place réservée à cette expérience au sein de l’espace social.
Le deuil solitaire
Le manque de soutien social apporté aux endeuillés, y compris par les proches, est un phénomène couramment observé par les spécialistes de l’accompagnement. « Dans les premiers temps du deuil, il y a un effet de choc qui peut donner l’impression que la personne va bien. Souvent, c’est seulement trois mois après le décès que les gens réalisent la permanence de la perte et que leur deuil commence. Mais c’est aussi à ce moment-là qu’ils se font dire de tourner la page, de penser à autre chose », observe Sophie Chartrand, titulaire d’une maîtrise en travail social et directrice de la Maison Monbourquette. Elle souligne les sentiments de solitude et d’exclusion que peuvent alors ressentir les endeuillés.
De plus, il semblerait que les endeuillés eux-mêmes intériorisent cette norme du silence vis-à-vis de la mort, constate Sébastien Bluteau, candidat à la maîtrise en anthropologie médicale de l’Université McGill réalisant une ethnographie institutionnelle de la Maison Monbourquette. « Plusieurs personnes en deuil affirment avoir un bon réseau de soutien, mais n’ont pas l’impression de pouvoir parler de ce qu’ils vivent. Ils ne veulent pas importuner leur entourage en parlant sans cesse de leur souffrance ».
Un effondrement des rituels
« Selon les normes du travail, on a le droit à environ un an de congé parental et seulement deux jours en cas de deuil », relève Sophie Chartrand.
Le peu d’espace accordé au deuil dans notre société résulterait d’un effondrement progressif des rituels (notamment religieux) entourant la mort au cours de la seconde moitié du XXe siècle. « Dans le passé, les rituels funéraires offraient des repères qui s’échelonnaient sur plusieurs mois. Ils facilitaient l’expression des émotions et le soutien social à l’endeuillé. Leur disparition laisse les gens dans un manque de lieux, de temps et de possibilité d’expression des émotions soulevées par leur deuil » (Lemieux, 2002).
Face à ce vide symbolique et social, l’expérience du deuil se privatise et le processus des funérailles se marchandise. « L’abandon des funérailles traditionnelles au profit de rituels personnalisés relève d’un nouveau rapport à la mort, et d’une sociabilité plus intimiste que collective » (Lafontaine, 2011). Sophie Chartrand constate que la négation de la mort, d’une part, et le recul des rituels collectifs et codes sociaux, d’autre part, poussent de nombreux endeuillés à maintenir les cérémonies funéraires au strict minimum.
L’impératif de productivité inhérent aux sociétés modernes exercerait également une pression, incitant les personnes affligées par la perte d’un être cher à écourter leur deuil. Ainsi, pour Sébastien Bluteau, l’« endeuillé modèle » devrait presque être invisible. « Le deuil idéal, c’est celui qui ne se voit pas, qui est le plus court possible, pour lequel on ne prend pas de jours de maladie et que l’on pleure en privé ».
Le deuil comme quête de sens
Si l’expérience du deuil est éminemment douloureuse, être sensibilisé à son importance peut néanmoins comporter des aspects positifs.
« Lorsque le deuil est correctement surmonté, il renforce le goût de la vie que cette perte a mis en question et donne le sentiment d’avoir des forces pour faire face aux épreuves inévitables » (Hanus, 2009).
De nombreux spécialistes ont pu établir un rapprochement entre deuil et résilience, qui « nous rassemblent autour d’une même visée, celle de la constitution du sens. Les situations de deuil sont un lourd défi lancé à notre capacité de faire sens » (Laflamme, 2012).
L’organisme apporte donc sa pierre à ce que certains observateurs préconisent pour mieux accompagner nos endeuillés : la création de nouveaux rituels significatifs.
Les principaux services offerts par la Maison Monbourquette
Des services gratuits tels qu’une ligne d’écoute provinciale, des rencontres individuelles, des séances d’art-thérapie et de musicothérapie.
Des groupes de soutien adaptés spécifiquement pour les enfants, les adolescents ou les parents endeuillés, incluant des rencontres familiales avec une travailleuse sociale.
Service spécialisé pour les deuils traumatiques.
Services de formation continue et d’intervention destinés aux professionnels à travers tout le Québec.
En élaboration : service pour les conseillers en ressources humaines afin de mieux soutenir les employés en deuil; campagnes de sensibilisation et d’information afin de démystifier la mort et le deuil; élaboration de stratégies adaptées aux hommes endeuillés.
Auteure :Xuân Ducandas, Stagiaire Hinnovic.org
RÉFÉRENCES
Bourgeois, M.L. (juin 2006). Études sur le deuil : Méthodes qualitatives et méthodes quantitatives. Annales médico-psychologiques, Revue psychiatrique, 164 (4) : 278-291. 1.
Déchaux, J.-H. (2004). Neutraliser l’effroi. Vers un nouveau régime du deuil. Dans F. Lenoir et J.P. Tonnac (dir.), La mort et l’immortalité, Bayard Centurion.
Gordon, T.A. (2013). Good grief : exploring the dimensionality of grief experiences and social work support. Journal of Social Work in End of Life and Palliative Care, 9 (1): 27-42.
Hanus, M. (2009). Deuil et résilience : différences et articulation. Frontières, 22 (1-2) : 19-21.
Laflamme, D. (2009). La constitution du sens dans l’interdisciplinarité. Frontières, 22 (1-2) : 3-6.
Lafontaine, C. (2008). La société post-mortelle. Paris : Le Seuil.
Lemieux, M. (2002). Le deuil : incontournable réalité méconnue de la vie. Psychologie Québec, Novembre : 12-15.
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